Objectifs pédagogiques
Les points clefs à retenir
La réanimation est un service où sont pris en charge les patients présentant ou susceptibles de présenter une ou plusieurs défaillances viscérales aiguës mettant directement en jeu le pronostic vital. Elle implique un monitorage continu des fonctions vitales et, le cas échéant, le recours à des méthodes de suppléance (transfusion de dérivés sanguins, remplissage vasculaire, ventilation mécanique, catécholamines, hémodialyse, circulation extra-corporelle, etc.). Environ 20% des patients admis en réanimation y décèdent dont la moitié après une décision de limitation ou d’interruption des thérapeutiques actives.
En réanimation, on distingue des thérapeutiques actives (à visée curative ou suppléance d’une défaillance d’organe) et des soins élémentaires de confort ou de support qui associent les soins d’hygiène, la prise en charge de la douleur et de la souffrance. En pratique, les deux types de prise en charge coexistent en permanence et s’il est possible d’interrompre certains traitements, les soins de support devront toujours être poursuivis.
L’obstination déraisonnable est définie par l’instauration ou la poursuite d’une thérapeutique curative ou d’une stratégie diagnostique inutile et non justifiée au regard du pronostic en termes de survie ou de qualité de vie. Atteinte aux droits fondamentaux d’une personne vulnérable et à sa dignité, elle est assimilée à une mauvaise pratique et est condamnable par la loi.
Les soins palliatifs sont des soins actifs délivrés dans une approche globale de la personne atteinte d’une maladie grave, évolutive ou terminale. Leur objectif est de soulager les douleurs physiques et les autres symptômes d’inconfort, et de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle. Ce type de soins peut parfaitement avoir sa place en réanimation.
La limitation des traitements regroupe plusieurs entités :
L’arrêt des traitements est défini par l’interruption d’un ou de plusieurs traitements dont des techniques de suppléance d’organe assurant un maintien artificiel en vie. Il est essentiel que l’intention soit clairement exprimée dans l’argumentation. Consignée dans le dossier du malade, elle permettra de distinguer le «laisser mourir» d’un malade en fin de vie du « faire mourir », assimilé à un homicide et condamnable.
La question de la limitation ou de l’arrêt de traitements peut être posée dans le cadre d’une réflexion quotidienne dans les situations suivantes :
Le principe essentiel de la démarche décisionnelle est le refus de l’obstination déraisonnable. La décision de limitation ou d’arrêt des traitements n’est en aucun cas un abandon de soins. Elle constitue une stratégie palliative.
La réflexion doit s’appuyer sur l’évaluation de l’ensemble des éléments anamnestiques, cliniques, paracliniques et pronostiques. Cette évaluation doit reposer sur l’état de l’art et doit être menée, si besoin est, en collaboration avec les experts de la spécialité concernée. Les arguments financier ou structurels (besoin de place de réanimation) ne peuvent être avancés dans la prise de décision.
C’est le médecin senior responsable de la prise en charge et de la prescription médicale du malade qui assume la responsabilité de la décision de limitation ou d’arrêt des traitements, de sa mise en œuvre et reste de fait le garant du respect des règles du processus de réflexion et notamment de la collégialité (cf. infra) ainsi que son application. Dans le cas particulier du patient chirurgical, le chirurgien du patient doit être considéré comme co-responsable d’une prise en charge médicochirurgicale.
Lors de la réflexion, il est indispensable de prendre en compte l’avis du patient, directement si celui-ci est apte à consentir, indirectement par la recherche de ses souhaits antérieurement exprimés. Cette démarche répond au principe éthique d’autonomie. Au cas où le patient serait inapte à consentir, le médecin doit mettre en œuvre une procédure de réflexion collégiale. L’ensemble des éléments pris en compte au cours des différentes étapes aboutissant à la décision doivent être notés dans le dossier médical.
Le terme «apte à consentir» signifie que le patient est compétent pour prendre des décisions sur sa santé après un avis éclairé du médecin c’est-à-dire qu’il peut s’exprimer et a conservé une faculté de jugement.
Le patient apte à consentir doit être associé à la réflexion concernant une limitation ou un arrêt des traitements. Il doit consentir à la proposition de stratégie le concernant et à ses modalités d’application. L’évaluation de la capacité à consentir du patient dans ce contexte est une étape fondamentale mais parfois difficile (quelle est la capacité à consentir d’un patient en hypercapnie ou en état de choc ?).
La loi du 22 avril 2005 prévoit dans le cadre du respect du principe d’autonomie, la décision de limitation ou d’arrêt des traitements sur la demande du malade. Toute demande du patient doit être évaluée et conduire à une discussion. La demande doit être répétée, claire, transmise aux proches et considérée comme un élément de la discussion. Ce choix doit être respecté à la condition de s’assurer que le patient soit parfaitement informé des conséquences de son refus et qu’il dispose d’un temps de réflexion suffisant. Il faut insister sur la nécessité de chercher à comprendre sur quoi porte exactement le refus, le motif et la signification de ce refus.
Cette situation est rare mais possible. Elle doit être abordée avec une démarche similaire à celle du refus de soins, associant la rigueur de la réflexion et l’intérêt du patient.
Au regard de la loi du 22 avril 2005, la responsabilité de la décision de limitation ou d’arrêt des traitements et de son application incombe au médecin en charge du malade. La décision n’incombe ni aux proches, ni à la personne de confiance, ni au personnel infirmier. L’application de la décision de limitation ou d’arrêt de traitements ne peut être déléguée ; elle doit être effectuée en présence du médecin en charge du patient.
En cas d’inaptitude à consentir d’un malade en phase avancée ou terminale d’une maladie, soumis à des traitements disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, le médecin en charge a l’obligation de respecter une procédure collégiale. La décision est prise par le médecin en charge du patient, après concertation avec l’équipe de soins et sur l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L’avis motivé d’un deuxième consultant est demandé par ces médecins si l’un d’eux l’estime utile.
La décision prend en compte: (1) les souhaits que le patient aurait antérieurement exprimés, en particulier dans des directives anticipées s’il en a rédigées, (2) l’avis de la personne de confiance qu’il aurait désignée, (3) ainsi que celui de la famille ou, à défaut, celui d’un de ses proches. Dans ce cadre l’avis de la personne de confiance prévaut sur tout autre avis non médical, à l’exclusion des directives anticipées. En aucun cas, la personne de confiance n’a de rôle décisionnel. Le témoignage indirect de la volonté du patient transmis par les proches est important mais ne peut être le seul critère de décision.
Lorsque la décision concerne un mineur ou un majeur protégé, le médecin recueille selon les cas l’avis des titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur, hormis les situations où l’urgence rend impossible cette consultation.
L’information délivrée aux proches doit être claire, adaptée et loyale. Chacun des membres de l’équipe médicale et paramédicale doit s’efforcer de délivrer une information porteuse du même message issu du processus décisionnel, afin de maintenir le même niveau de confiance et de crédibilité de la part des proches.
L’argumentation doit tenir compte non seulement de la capacité du patient à passer un cap aigu mais aussi du principe de proportionnalité de l’engagement thérapeutique proposé par rapport à la situation antérieure et future du patient. L’argumentation doit concerner, d’une part, la décision de limiter ou d’arrêter un ou plusieurs traitement(s), d’autre part, les modalités d’application de cette décision.Tout traitement est susceptible d’être limité ou arrêté. Il n’est pas reconnu de différence éthique entre une limitation ou un arrêt de traitement(s). L’argumentation doit s’appuyer sur l’ensemble des éléments anamnestiques, cliniques, biologiques et pronostiques concernant le patient. Ce préalable est indispensable et doit être consigné dans le dossier médical, incluant, s’il y a lieu, les avis demandés à des experts extérieurs au service.
La loi laisse la possibilité au médecin en charge du malade de prendre une décision qui ne soit pas partagée avec la personne de confiance, les proches ou les membres de l’équipe paramédicale, cependant, la recherche d’un consensus lors des discussions avec la personne de confiance ou les proches du malade est préférable. Au niveau de l’équipe soignante (médicale et paramédicale) un consensus doit également être recherché lors des discussions entre les acteurs de la réflexion. Le consensus ne peut cependant être considéré comme une garantie éthique en soi. Ce qu’il importe d’atteindre, c’est l’absence d’opposition nette ou de doute sérieux émis par un ou plusieurs des participants. En cas de doute, la réflexion doit être poursuivie et doit être renouvelée en tenant compte de toutes les réticences exprimées. Une décision de limitation ou d’arrêt de traitements peut toujours être reconsidérée et/ou annulée, en cas d’arguments nouveaux susceptibles de modifier la réflexion. Le processus d’annulation doit alors être identique à celui ayant conduit à la prise de la décision.
La notification dans le dossier, prévue explicitement par la loi du 22 avril 2005, assure la traçabilité du processus de prise de décision. Outre sa nécessité médicolégale, la traçabilité est un vecteur de communication, en particulier inter équipes, en assurant la diffusion de l’information et des éléments de réflexion à tous les acteurs de soins engagés auprès du malade, de jour comme de nuit.
La prise d’une décision de limitation ou d’arrêt des traitements conduit à deux engagements majeurs qui sont : 1) la continuité des soins, dont l’objectif n’est plus de s’opposer à la mort, mais de prendre soin, 2) la mise en œuvre de soins palliatifs. La limitation ou l’arrêt des traitements implique la prise en charge en priorité de la douleur physique et morale du patient. Toutes les mesures susceptibles d’améliorer le confort du patient et de ses proches doivent être mises en œuvre. Le confort apporté par une thérapeutique doit être considéré comme un bénéfice pour le patient, en l’absence d’alternative. L’interruption de techniques utilisées en routine pour la surveillance du patient est recommandée pour améliorer son confort, dès lors qu’elles sont jugées inutiles. La proposition doit être faite au malade ainsi qu’à ses proches de recourir à toute assistance qu’ils souhaiteraient (religieuse, spirituelle, psychologique et/ou pour des démarches administratives).
Avant de mettre en place une sédation, il faut s’assurer que sa finalité est bien le soulagement du patient et non pas celui de l’équipe soignante ou de l’entourage et que l’unique objectif est de contrôler des symptômes réfractaires à un traitement symptomatique bien conduit. Et s’assurer qu’elle résulte d’une discussion interdisciplinaire et fait l’objet du consentement du patient, de l’entourage et de consignes écrites à la disposition de l’ensemble des soignants.
Deux techniques se distinguent dans leurs modalités et leurs effets: l’extubation ou le simple arrêt de la ventilation mécanique. Dans tous les cas, l’objectif doit être de permettre le confort du patient tout en évitant de prolonger une agonie difficilement ressentie par l’ensemble des intervenants. Une sédation permet d’éviter les manifestations agoniques ou d’inconfort de la part du patient. Ce type de sédation peut avoir comme effet secondaire une réduction de la durée de vie, notamment en raison des effets possibles sur le système respiratoire par diminution des mécanismes de protection des voies aériennes supérieures. Cet effet secondaire n’est pas l’effet recherché et constitue le risque à prendre pour soulager ou prévenir des symptômes intolérables. Il est éthiquement acceptable et ne pose pas de problème déontologique ou médicolégal.
Il n’y a pas d’interdiction à l’arrêt ou à la réduction de l’hydratation ou de la nutrition, s’agissant de thérapeutiques de suppléance au même titre que la ventilation artificielle ou la dialyse.
La présence des proches qui souhaitent accompagner le patient doit être favorisée et les règles de restriction des visites (si elles existent) assouplies au maximum, dès que le décès est pressenti. Une ouverture du service aux proches 24 h/24 doit être permise dans cette situation, aucune restriction de visite ne se justifiant sauf cas exceptionnel, comme un refus de rester de la famille ou la contagiosité du malade. Il convient également de ne pas limiter le nombre de visiteurs.
Le service met à la disposition des proches et du patient tous les moyens nécessaires pour joindre toute personne souhaitée.
Les proches auront la possibilité d’exercer les rites religieux et/ou culturels dans les meilleures conditions au lit du patient dans le respect des autres patients de l’unité.
La souffrance morale des proches nécessite leur accompagnement afin de les aider à mieux appréhender le décès du patient et de faciliter le travail de deuil. Une communication intense, précoce et constante avec une équipe médicale et paramédicale et la remise d’un livret d’accompagnement peuvent être bénéfiques. Un entretien à distance peut être proposé afin de répondre à toute question restée en suspens.
Il n’est pas rare que le patient survive après une décision de limitation de traitements, en particulier s’il s’agit d’une décision de ne pas optimiser ou de ne pas instituer de nouveau les traitements de suppléance vitale, pouvant inclure la décision de ne pas réanimer en cas d’arrêt cardio-circulatoire. Si le transfert du patient est envisagé dans un service de soins standard, il est recommandé d’associer l’équipe du service d’accueil du patient, à la conception et la mise en œuvre du projet de soins à visée palliative. L’argumentation ayant entrainé la stratégie palliative doit être transmis à la nouvelle équipe par le réanimateur. Dans tous les cas, il est recommandé que les éléments pris en compte lors de la décision de limitation ou d’arrêt des traitements, ses conclusions ainsi que la pertinence ou non d’une nouvelle réadmission en réanimation figurent dans le compte-rendu d’hospitalisation.
Référentiel d'Anesthésie Réanimation