Objectifs pédagogiques
Les points clefs à retenir
Les avancées techniques réalisées ces dernières années ont permis la réalisation d’actes diagnostiques et/ou thérapeutiques chez des patients de plus en plus « fragiles » et présentant de nombreuses comorbidités. Ces patients sont fréquemment traités de manière chronique par plusieurs classes médicamenteuses (notamment à visée cardiovasculaire) dont l’index thérapeutique est étroit et dont l’adaptation péri-opératoire est nécessaire. En effet, une mauvaise gestion de ces traitements peut être à l’origine d’effets secondaires graves et/ou de la décompensation d’une pathologie préalablement stable. La gestion du traitement médicamenteux chronique péri-opératoire doit donc mettre en balance:
La gestion péri-opératoire des traitements chroniques devant faire l’objet d’une attention particulière sera précisée dans ce chapitre. La prise en charge péri-opératoire est coordonnée par le médecin anesthésiste-réanimateur en concertation avec le médecin réalisant l’acte invasif, le médecin traitant et les médecins spécialistes prenant en charge les pathologies chroniques du patient. Ainsi, les principes généraux de la consultation d’anesthésie, de la réalisation des examens complémentaires et du jeûne préopératoire seront également brièvement rappelés.
La consultation pré-anesthésique est obligatoire (décret du 5 décembre 1994) avant tout acte requérant une anesthésie générale ou locorégionale. La durée entre la consultation anesthésique et l’acte doit être suffisante (au moins 48h avant une intervention programmée) pour permettre de prévoir et d’adapter la prise en charge péri-opératoire du patient :
La consultation d’anesthésie permet également de fournir une information claire, adaptée et intelligible au patient.
La prescription d’examen préinterventionnels systématiques fait l’objet de recommandations formalisées d’experts [1]. La prescription d’examens complémentaires préinterventionnels doit être sélective, sans caractère automatique et s’intégrer dans un raisonnement et une démarche médicale globale sans jamais se substituer à l’interrogatoire et à l’examen clinique du patient.
La stratégie de prescription doit intégrer l’évaluation du risque et sa stratification en fonction du type de chirurgie et de la gravité du patient. Ainsi, pour une chirurgie à faible risque chez un patient jeune, en bon état général, sans antécédent particulier à l’interrogatoire (notamment sans diathèse hémorragique) et ne prenant pas de traitement chronique, aucun examen complémentaire n’est nécessaire.
Les traitements chroniques nécessitant une adaptation en cas d’intervention chirurgicale ou de geste invasif programmé sont ceux ayant un retentissement cardiovasculaire, interférant avec l’hémostase ou pouvant engendrer des déséquilibres métaboliques aiguës. Ces traitements, leur risque, et la conduite à adopter quant à leur poursuite ou leur arrêt durant la phase péri-opératoire sont décrits dans le tableau 1.
La décision de maintien ou d’arrêt de certains traitement est parfois complexe et nécessite une concertation pluridisciplinaire entre les différents acteurs de la phase péri-opératoire (chirurgien, anesthésiste-réanimateur, cardiologue ou radiologue interventionnel) afin de juger du rapport bénéfice/risque de chaque attitude. Cependant, certains principes et généralités concernant la gestion péri-opératoire des traitements chronique doivent être connus de tout médecin.
L’information des patients quant à la poursuite ou à l’interruption de leurs différents traitements est particulièrement importante afin d’éviter tout malentendu pouvant être source d’effets indésirables ou de complications périopératoires pour le patient.
Tableau 1 : Traitements dont l’adaptation posologique est nécessaire en raison des risques liés à leur poursuite en périopératoire
Traitements | Risque lié à la poursuite du traitement |
---|---|
Antiagrégant plaquettaire | Hémorragie |
Anticoagulant | Hémorragie |
Diurétique | Hypovolémie |
Antagoniste du SRAA | Hypotension artérielle |
Biguanide | Acidose lactique |
Sulfamide ou glinide | Hypoglycémie |
Corticothérapie au long cours | Insuffisance surrénalienne aiguë |
La décision de maintien ou d’arrêt d’un traitement antiagrégant plaquettaire (AAP) ou anticoagulant pendant la phase péri-opératoire doit prendre en compte le risque thrombotique ou thrombo-embolique lié à une éventuelle modification du traitement AAP ou anticoagulant d’une part et le risque hémorragique lié à l’acte et sa faisabilité sous traitement antithrombotique d’autre part.
La prescription chronique de traitement antiagrégant plaquettaire concerne les patients ayant des antécédents vasculaires, généralement coronaires. La décision de poursuive ou non le traitement antiagrégant plaquettaire doit être prise de manière individualisée et reviens à peser les risques hémorragique liée à la chirurgie (élevé, faible ou intermédiaire) et thrombotique en cas d’arrêt des AAP. Ce dernier dépend :
D’après les dernières recommandations de bonne pratique de la Haute Autorité de Santé (HAS) concernant la gestion des traitements antiagrégants plaquettaires lors de la réalisation d’un geste invasif ou chirurgical programmé chez le coronarien, la plupart des procédures sont réalisables sous acide acétylsalicylique (AAS) [2-3]. Ainsi une monothérapie par AAS sera toujours maintenue en dehors d’un faible nombre d’indications chirurgicales pour lesquelles le risque lié à des complications hémorragiques dépasse celui lié à un évènement cardiovasculaire (neurochirurgie, chirurgie périmédullaire, chirurgie intraoculaire). Chez un patient coronarien traité en monothérapie par du clopidogrel, celui-ci devra être relayé par de l’AAS en préopératoire et le geste réalisé sous AAS si possible.
Si, d’après l’HAS, les endoscopies digestives diagnostiques sont possibles bi-antiagrégation plaquettaire associant l’AAS et une thiénopyridine (clopodogrel ou prasugrel ou ticagrelor) [2], ce n’est pas le cas pour la grande majorité des autres procédures invasives (chirurgicales ou interventionnelles) et la conduite à tenir dépend du risque thrombotique du patient. Chez les patients à haut risque (syndrome coronarien aigu au cours des 6 dernières semaines, pose d’un stent nu depuis moins de 6 semaines ou d’une stent actif depuis moins de 12 mois), la réalisation de l’acte devra si possible être reportée dans la mesure où elle impose une interruption de la bi-antiagrégation plaquettaire qui est impossible [4-5]. Si le report est impossible, l’arrêt de la thiénopyridine devra être le plus court possible [4-5]. En cas de risque thrombotique moindre, la thiénopyridine pourra être arrêtée [4-5]. Un délai d’arrêt de 5 jours avant l’acte invasif est nécessaire pour le clopidogrel et le ticagrelor. Pour le prasugrel, il convient d’attendre 7 jours. [4-5] Le tableau 2 résume les éléments de réflexion et la conduite à tenir actuelle quant à la gestion péri-opératoire des AAP.
Tableau 2 : Gestion du traitement antiagrégant plaquettaire lors d’un acte invasif chez le patient coronairien. (Adapté d’après [4-5])
Deux types de traitements anticoagulants chroniques sont maintenant prescrits. Les antivitamines K (AVK) dont la gestion en cas de chirurgie ou d’acte invasif a fait l’objet de recommandations de l’HAS en 2008 [6]. Les anticoagulants oraux directs (AOD, anti-Xa et anti-IIa) , beaucoup plus récents, pour lesquels l’expérience et les données concernant les patients traités et bénéficiant d’un acte invasif programmé ont permis au Groupe d’intérêt en hémostase péri-opératoire (GIHP) de formuler des recommandations en septembre 2015 [7].
Concernant les AVK, l’HAS précise tout d’abord qu’ils peuvent être poursuivis, après avoir vérifié l’absence de surdosage, en cas d’acte invasif ou de chirurgie à faible risque hémorragique (chirurgie cutanée, de la cataracte, certains actes de chirurgie bucco-dentaire et endoscopies digestives à visée diagnostique) [6].
Dans les autres cas, l’arrêt des AVK ou leur antagonisation en cas d’urgence afin d’obtenir un INR <1,5 (<1,2 en neurochirurgie), valeur en dessous de laquelle le risque hémorragique n’est pas majoré, est recommandée. Deux situations doivent alors être distinguées en fonction de l’importance du risque thrombo-embolique du patient [6].
Si le risque thrombo-embolique est faible (Arythmie Cardiaque par Fibrillation Auriculaire (ACFA) sans antécédent embolique, maladie thrombo-embolique à risque modéré), l’anticoagulation par AVK peut être interrompue sans relais préopératoire mais l’anticoagulation es reprise dans les 24 à 48 heures postopératoires.
Si le risque thrombo-embolique est élevé (malade porteur de valve mitrale mécanique, ACFA avec antécédent embolique, maladie thrombo-embolique à haut risque (de cause idiopathique ou datant de moins de 3 mois) un relais pré et postopératoire par une héparine à dose curative (HNF ou HBPM sous réserve de leurs contre-indications) est recommandé.
La gestion péri-opératoire d’un traitement par AVK nécessite une information et une bonne compréhension du patient afin d’éviter les risques de surdosage et de sous dosage et fait souvent intervenir le médecin traitant.
De manière similaire aux AVK, la gestion péri-opératoire des AOD diffère en fonction de l’importance du risque hémorragique de l’intervention. Cependant, à la différence des AVK, seul le délai entre leur interruption et la chirurgie varie et aucun dosage ni aucun relai par héparine curative n’est nécessaire (Tableau 3) [7].
En cas d’acte à faible risque hémorragique, la dernière prise d’AOD devra intervenir la veille au matin de l’intervention, quelque soit le schéma thérapeutique du patient. Le traitement pourra être repris dès H+6 après le geste.
En cas d’acte à risque hémorragique élevé, la dernière prise de rivaroxaban, apixaban et endoxaban devra intervenir à J-3 et celle de dabigatran (anti-IIa) à J-4 si la clairance de la créatinine (ClCr) est > 50 ml/min (J-5 si ClCr < 50 ml/min). L’anticoagulation à dose curative pourra être reprise dès que l’hémostase le permet (à titre indicatif : entre 24 et 72 heures). Dans l’attente, une anticoagulation à dose prophylactique devra être reprise au moins 6 heures après l’acte invasif, si une thromboprophylaxie veineuse est indiquée.
Tableau 3 : Gestion périopératoire des anticoagulants d’action directe en fonction du risque hémorragique. ClCr : Clairance de la créatinine (calculée d’après la formule de Cockroft)D’après [7].
De manière générale, l’arrêt des traitements à visée cardiovasculaire pendant la période périopératoire expose à un risque de décompensation d’une insuffisance cardiaque ou d’une coronaropathie préalablement contrôlée. Ainsi, la majeure partie de ces traitements doit être poursuivie aux posologies et horaires habituels à l’exception des médicaments entrainant un risque majeur d’hypotension peropératoire tels que les antagonistes du systéme rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) et les diurétiques [8].
Un traitement par béta-bloquant prescrit de manière chronique ne doit pas être interrompu [8]. En effet, l’arrêt du traitement chronique par beta bloquant expose à un risque de syndrome de sevrage caractérisé par une tachycardie, des crises hypertensives ou des arythmies pouvant favoriser l’apparition d’épisodes d‘ischémie myocardique. Son maintien pendant la période péri-opératoire est à l’inverse bien toléré sur le plan hémodynamique.
De la même manière, l’arrêt des inhibiteurs calciques (prescrits à visée anti-hypertensive) pourrait favoriser un rebond hypertensif péri-opératoire et l’apparition d’ischémie myocardique alors que leur maintien n’entraine pas d’effet indésirable. Ces considérations sont également valables pour les inhibiteurs calciques chronotropes négatifs (tels que le vérapamil ou le diltiazem) représentant également la classe IV des anti-arythmiques dont l’utilisation pourrait diminuer les arythmies peropératoires. La poursuite des inhibiteurs calciques est donc préconisée en péri-opératoire [8].
Prescrits dans le cadre de la prévention primaire et secondaire de la coronaropathie, l’utilisation péri-opératoire des statines est associée à une réduction des évènements coronaires et de la mortalité postopératoire via des effets hypocholestérolémiants et surtout pléiotropiques. L’arrêt du traitement par statine expose à une augmentation du risque de complications coronaires, majoré par un effet rebond. Le risque de survenue de rhabdomyolyse lié à ces traitements est lui mineur et la poursuite de ces traitements pendant la phase péri-opératoire est recommandée [8].
Les dérivés nitrés sont également protecteurs myocardiques via une vasodilatation coronaire et généralement prescrits sous forme de patchtransdermique à libération prolongée au long cours ou sous forme de spray ou de gellules sublinguales. Ils ne doivent pas être interrompus en préopératoire.
Enfin les traitements antiarythmiques par amiodarone et sotalol doivent être poursuivis en raison d’un risque de récidive du trouble rythmique en cas d’arrêt [8].
A l’inverse, certains traitements anti-hypertenseurs doivent être systématiquement arrêtés en raison du risque important d’évènement indésirable en cas de maintien [8]. C’est le cas des diurétiques (hyperkaliémiants (antialdostérone) ou hypokaliémiants (diurétiques de l’anse, thiazidiques)) qui représentent un traitement majeur de l’insuffisance cardiaque congestive et l’un des traitements de première ligne de l’HTA systémique dont la poursuite expose à l’hypovolémie et aux dyskaliémies (justifiant un contrôle de la kaliémie préopératoire) [8].
Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et les antagonistes des récepteurs à l’angiotensine II (ARA II) interfèrent avec le SRAA qui trouvent leur place dans le traitement de l’HTA, mais aussi dans l’insuffisance cardiaque, la prévention du remodelage post-infarctus et l’insuffisance rénale chronique. Devant un risque d’hypotension artérielle post opératoire (pouvant être réfractaire aux sympathomimétiques), l’arrêt des inhibiteurs du SRAA est recommandé au moins 12 heures avant une intervention lorsqu’ils constituent un traitement de fond de l’HTA[8]. Lorsqu’ils sont prescrits dans le cadre d’une insuffisance cardiaque, ils doivent en revanche être poursuivis car leur arrêt peut engendrer un déséquilibre de la cardiopathie[8].
Les traitements antalgiques prescrits de manière chronique doivent être poursuivis durant la période péri-opératoire hormis les AINS pour lesquels le maintien doit être discuté en raison des risques hémorragique et rénal auxquels ils exposent [8]. En cas de chirurgie à faible risque hémorragique, il convient de vérifier que les contre-indications de prescriptions de ces traitements sont respectées. Si tel est le cas, leur maintien est recommandé en peropératoire. En cas de chirurgie hémorragique, il est recommandé d’arrêter les AINS [8].
Les traitements antiparkinsoniens et antiépileptiques doivent être poursuivis aux posologies et horaires habituels [8].
Dans la mesure où leur interruption expose à un risque de syndrome de sevrage et de décompensation de la pathologie psychiatrique, le maintien péri-opératoire des traitements antidépresseurs et leur reprise précoce est préconisée [8]. Cependant certaines familles d’antidépresseurs comportent des risques d’interactions avec certains médicaments antalgiques ou anesthésiques. Ainsi l’utilisation conjointe d’un antidépresseur de type inhibiteur de la recapture de la sérotonine, imipraminique ou inhibiteur de la monoamine oxydase (IMAO) et d’un autre médicament à action sérotoninergique. De même, l’association d’un imipraminique et d’un autre médicament anticholinergique expose au syndrome anticholinergique.
Toute corticothérapie, dès que la posologie dépasse l’équivalent journalier de la sécrétion hormonale en cortisol (soit dès 5 mg/j de prednisone), entraine une inhibition de la sécrétion en ACTH. Ainsi, l’insuffisance surrénalienne aiguë complique dans la grande majorité des cas l’arrêt d’une corticothérapie au long cours mais reste possible en cas de traitement de courte durée. Par ailleurs, les besoins en cortisol peuvent augmenter 5 à 10 fois en cas de stress, notamment chirurgical. Ainsi, la corticothérapie habituelle du patient doit être maintenue et reprise le plus précocement possible après la réalisation d’un geste invasif [8]. De plus, une opothérapie substitutive doit être administrée afin de prévenir le risque d’insuffisance surrénalienne liée au stress chirurgical [8]. En cas de geste mineur ou modéré, une opothérapie substitutive par hydrocortisone à faible dose (25 mg) doit être administrée en début d’intervention. En cas de procédure majeure, l’opothérapie doit être administrée à plus forte dose (50 mg), de manière répétée (toutes les 6 heures) et de manière prolongée (jusqu’à la 48ème ou la 72ème heure postopératoire en fonction des suites chirurgicales).
Parmi les antidiabétiques oraux (ADO), les biguanides au premier rang desquels se trouve la metformine exposent à un risque d’acidose lactique péri-opératoire. Ils doivent être systématiquement interrompu 12 à 24 h avant un acte et repris 48 h après la reprise alimentaire et en l’absence d’insuffisance rénale [8]. Leur poursuite est cependant possible en cas de chirurgie mineure ou d’acte invasif ne nécessitant pas d’injection de produit de contraste iodé [8]. Exposant à un risque d’hypoglycémie pendant la période du jeûne préopératoire, les autres ADO tels que les sulfamides hypoglycémiants ou les glinides devront être arrêté la veille au soir ou le matin de l’intervention de l’intervention [8]. Leur reprise se fera conjointement à celle de l’alimentation. Pour prévenir le risque de dysglycémie commun à tous les diabétiques, une perfusion intraveineuse de soluté glucosé sera administrée en périopératoire et la glycémie capillaire contrôlée. Une insulinothérapie devra être débutée en cas d’hyperglycémie [8].
La réalisation d’un acte sous anesthésie générale programmé impose une période de jeûne préopératoire afin d’éviter l’inhalation bronchique du contenu gastrique au moment de l’induction anesthésique. Ce jeûne doit également être respecté en cas d’anesthésie locorégionale prévue afin de permettre, en cas d’échec, la réalisation d’une anesthésie générale.
La durée du jeûne préopératoire dépend du temps nécessaire à l’obtention d’une vacuité gastrique et varie en fonction des aliments. A l’heure actuelle, la durée du jeûne préopératoire recommandée (en dehors de terrains particuliers entrainant un trouble de la vidange gastrique) est de 6 heures pour les solides et de 2 heures pour les liquides clairs. Le tabagisme interférant avec la vidange gastrique, la consommation de tabac doit être proscrite dans les 2 heures précédant l’anesthésie générale.
Cependant, le matin de l’intervention, le respect du jeûne préopératoire ne doit pas entraver la prise per os (avec un verre d’eau) des traitements chroniques poursuivis pendant la période périopératoire.