Objectifs pédagogiques
La pancréatite aiguë est définie comme l’inflammation aiguë de la glande pancréatique. La destruction tissulaire par les enzymes pancréatiques protéolytiques (notamment la trypsine) se traduit par des lésions histologiques associant œdème interstitiel et cytostéatonécrose (nécrose pancréatique et des tissus avoisinants). Une pancréatite aiguë bénigne est caractérisée par l’existence seule d’un œdème du pancréas. Lors d’une pancréatite aiguë sévère, il existe une ou plusieurs défaillances d’organes ou une complication locale (nécrose étendue, abcès, pseudo-kyste).
L’incidence en France est proche de 25 / 100 000 habitants chez des patients majoritairement de sexe masculin (60%).
Dans 85% des cas une étiologie est retrouvée (Tableau 1), sinon la pancréatite est dite idiopathique. Les deux causes principales sont la lithiase biliaire (40 à 56% selon les séries), l’alcool (40%). En Europe, il existe un gradient nord-sud avec une prépondérance d’origine alcoolique au nord et lithiasique dans les pays du sud.
L’étiologie toxique de la pancréatite aiguë peut être imputable à plus de 100 médicaments. Enfin, l’incidence des pancréatites est plus élevée au cours de l’infection à VIH (maladies opportunistes, traitements antirétroviraux).
Tableau 1 : Principales étiologies des pancréatites aiguës
Le diagnostic peut être évoqué à l’interrogatoire devant la notion de facteurs de risques ou d’antécédents de pancréatite (aiguë ou chronique).
Le tableau clinique typique est marqué par une douleur abdominale épigastrique, transfixiante ou irradiant dans les hypochondres, de forte intensité, s’installant rapidement, soulagée par la position dite en chien de fusil. Les nausées, vomissements, diarrhées et les autres signes digestifs ne sont pas spécifiques. Des signes généraux non spécifiques peuvent s’y associer : fièvre, tachycardie, hypotension.
Pour confirmer le diagnostic, le signe biologique le plus spécifique et le plus sensible est l’augmentation de la lipasémie (supérieure à trois fois la normale). L’amylasémie n’est pas un marqueur biologique suffisamment spécifique (nombreux faux positifs).
Les transaminases et notamment une élévation supérieure à trois fois la normale des ALAT sont un élément d’orientation vers une étiologie biliaire.
Le tableau clinique typique associé à une lipasémie supérieure à trois fois la normale suffit à poser le diagnostic.
Les techniques d’imagerie et plus particulièrement la TDM abdominale avec injection de produit de contraste vont permettre d’éliminer un diagnostic différentiel, d’orienter l’étiologie et d’évaluer la gravité grâce aux scores scanographiques.
Une hypertrophie, une diminution ou l’absence de prise de contraste à l’injection du pancréas et/ou la présence de collections extrapancréatiques confirment le diagnostic.
L’échographie abdominale, l’IRM et surtout l’échoendoscopie (sensibilité proche de 100 %) ont une place de choix dans le diagnostic de l’origine biliaire de la pancréatite aiguë.
Les diagnostics différentiels à évoquer devant le tableau clinique de pancréatite aiguë sont:
Le pronostic est conditionné par la sévérité de la pancréatite aiguë. De nombreuses classifications ont été proposées reposant sur des éléments cliniques, le terrain du patient, sur des signes biologiques et des signes radiologiques.
Aujourd’hui la classification faisant consensus prend en compte uniquement la présence de nécrose et de défaillances d’organes (Tableau 2).
Tableau 2 : Classification des pancréatites
Pancréatite bénigne | Pas de nécrose (péri) pancréatique ni de défaillance d’organe |
Pancréatite modérée | Nécrose (péri) pancréatique stérile et/ou défaillance d’organe transitoire (<48h) |
Pancréatite sévère | Nécrose (péri) pancréatique infectée ou défaillance d’organe persistante (>48h) |
Pancréatite critique | Nécrose (péri) pancréatique infectée et défaillance d’organe persistante (>48h) |
Le pronostic est conditionné par la classification de la pancréatite, la présence de signes de gravité qui peuvent être argumentés sur des éléments cliniques et le terrain du patient, sur des signes biologiques et des signes radiologiques.
Les pancréatites aiguës ne présentent pas de critères de gravité dans plus de 80% des cas et s’améliorent en 3 à 6 jours avec un traitement symptomatique. La mortalité globale est alors inférieure à 1%.
Dans les formes sévères et critiques la mortalité peut atteindre 40%. Elle est en rapport avec une nécrose étendue, une défaillance d’organes ou des complications locales.
Jusqu’à peu, le score clinico-biologique le plus couramment utilisé pour l’évaluation pronostic des pancréatites aigues était le score de Ranson (Tableau 3) qui associe des critères cliniques et biologiques à l’admission et à 48h. Un score de Ranson >3 prédit une mortalité d’au moins 15%. Aujourd’hui, il lui est préféré la présence et/ou la persistance d’un syndrome de réponse inflammatoire systémique (SIRS) dans les 48h. Plus simple à rechercher, la persistance d’un SIRS plus de 48h est associé à une mortalité de 25% en comparaison à 8% pour un SIRS transitoire.
Enfin, il existe de nombreux scores de gravité plus complexes (IGS II, APACHE, SOFA) permettant d’évaluer les différentes défaillances d’organes, généralement réservés à l’évaluation des patients réanimatoires.
Tableau 3 : Score de Ranson (1 point par item, pancréatite aiguë grave si Ranson > 3)
La réalisation d’une tomodensitométrie abdominale injectée à 48h permet d’établir un score de sévérité scannographique, le score de Balthazar bien corrélé à la morbi-mortalité (Tableau 4). La gravité est évaluée grâce l’extension pancréatique et péri-pancréatique de l’inflammation et par l’importance de la nécrose pancréatique (figure 1).
Tableau 4 : Score tomodensitométrique de Balthazar : Tomodensitométrie à la 48ème heure (en l’absence de complication précoce)
Figure 1 : Tomodensitométrie abdominale sans injection. Pancréatite grade E selon le score de Balthazar (les flèches indiquent une nécrose pancréatique et une coulée de nécrose).
C’est la présence d’un SIRS, d’une ou plusieurs défaillances d’organe qui constituent un signe d’alerte fort, justifiant l’admission en réanimation. L’évaluation dans les 48 premières heures est primordiale pour le pronostic. Elle s’effectue selon les critères présentés dans la figure 2.
Figure 2 : Stratégie de prise en charge des pancréatites aiguës à la phase initiale.
Au cours de la pancréatite aiguë, la sécrétion en grande quantité de cytokines pro-inflammatoires est responsable de la survenue d’un SIRS pouvant entrainer des défaillances d’organes.
Le seul moyen de limiter la survenue ou la durée d’un SIRS est la réalisation d’une rééquilibration hydro-électrolytique adaptée dans les 24 premières heures.
Cette rééquilibration doit être rapide (5 à 10 ml/kg/h), avec des solutés cristalloïdes de préférence balancés (Ringer Lactate®, Isofundine®) et être poursuivie jusqu’à l’amélioration des paramètres biologiques (hématocrite, urémie…) et cliniques (FC, PAM, débit urinaire…).
A la phase initiale, l’oxygénothérapie est nécessaire. Elle a montré son efficacité dans la diminution de la mortalité notamment chez les patients de plus de 60 ans.
L’analgésie multimodale est indispensable. Elle permet notamment de limiter les complications respiratoires des formes sévères.
L’association de moyens locaux (vessie de glace sur l’abdomen) à des traitements parentéraux comme le paracétamol, le néfopam, la morphine ou la lidocaïne en perfusion continue permet généralement d’assurer une analgésie efficace. Les anti-inflammatoires sont à proscrire dans cette indication en raison du risque hémorragique élevé et de l’atteinte rénale fréquente.
Dans le cadre du PA bénigne, une alimentation normale pourra être reprise dès la diminution des douleurs abdominales et l’amélioration des paramètres inflammatoires, soit généralement dans les 72h.
Dans les formes sévères, l’instauration d’une alimentation par voie entérale (sonde naso-gastrique), dès les 48 premières heures, est recommandée. Son début précoce permet de diminuer l’incidence des infections de nécrose.
Dans tous les cas, le recours à une nutrition parentérale doit être réservé aux seules rares contre-indications ou intolérance de la nutrition entérale.
De nombreuses études ont démontré l’absence d’intérêt de l’instauration d’une antibiothérapie préventive dans la survenue d’infection de coulées de nécrose même dans les formes graves. L’instauration d’une antibiothérapie non documentée expose le patient et l’établissement à une sélection de germes et à l’apparition de bactéries multi-résistantes. La présence d’un syndrome inflammatoire est quasi-systématique dans l’évolution d’une PA et ne doit pas à lui seul faire poser le diagnostic d’une complication infectieuse et donc d’une antibiothérapie.
Elles devront faire l’objet d’une prise en charge dans un centre spécialisé doté d’une réanimation, d’un service radiologie, d’une équipe d’endoscopie digestive interventionnelle et d’un service de chirurgie habituée à la chirurgie pancréatique.
La nécessité ou non d’une sphinctérotomie précoce a fait l’objet de nombreuses études. Les recommandations actuelles ne le justifient qu’en présence d’une réelle angiocholite ; dans ce cas, elle doit toujours être réalisée le plus précocement possible, idéalement dans les 24 premières heures.
En cas de forme bénigne, la cholécystectomie secondaire devra être faite le plus rapidement possible au cours de l’hospitalisation et au mieux avant la réalimentation pour éviter les récidives.
Dans les formes sévères, la cholécystectomie doit être reportée après la disparition des coulées de nécroses.
La surinfection de la nécrose pancréatique est une complication grave et fréquente, elle survient chez 40 à 70 % des pancréatites aiguës modérées dans la deuxième ou troisième semaine d’évolution.
La pérennisation, l’aggravation ou la survenue de défaillance(s) d’organe(s) dans un contexte septique avec fièvre, hyperleucocytose, doit conduire à s’interroger sur la présence d’une nécrose infectée. En dehors des cas où la présence de bulles d’air dans la cavité rétropéritonéale oriente fortement, le diagnostic de nécrose infectée repose sur la ponction, guidée par TDM, à l’aiguille fine des foyers de nécrose permettant la confirmation et l’identification des germes responsables.
Le traitement anti-infectieux empirique, visant les germes nosocomiaux, est débuté dès les résultats de l’examen direct et sera secondairement adapté à l’antiobiogramme. Il suffit chez 2/3 des patients. La nécrosectomie devra être réalisée en cas de dégradation du patient ou d’apparition d’une défaillance d’organe à distance de la pancréatite aiguë. Le drainage par abord mini-invasif (drainage per-cutané radioguidé ou endoscopique) doit être privilégié en première intention. La chirurgie est réservée aux échecs et doit être reculée au maximum pour permettre l’organisation de la collection.
Les modalités pratiques de l’antibiothérapie sont conditionnées par l’écologie locale. Cette dernière est toujours secondairement adaptée aux vues des résultats des cultures et de l’antibiogramme.
La durée n’est pas codifiée mais 7 à 10 jours d’antibiothérapie semblent raisonnables.
La pancréatite aiguë se présente sous des formes cliniques et de gravité diverses. Son pronostic repose sur une prise en charge précoce avec des thérapeutiques symptomatiques (rééquilibration hydro-électrolytiques, oxygénothérapie, analgésie, nutrition) mais néanmoins indispensables à la prévention des complications. La recherche de critères de gravité (clinique, biologique, radiologique) dans les 48h doit être systématique afin d’orienter le patient dans un milieu spécialisé.