Points clefs :
Les liens entre santé mentale et douleur sont réciproques : la douleur associe un versant psychique ; des pathologies psychiatriques ont la douleur comme symptôme ou modifient la façon dont la douleur est ressentie ou exprimée. Depuis 1998 trois plans de santé ministériels ont concerné la douleur, le dernier mettant l’accent sur les personnes vulnérables : chez les patients souffrant de troubles psychiatriques aussi, la douleur doit être :
La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable. Elle se manifeste par des composantes :
On distingue :
La sensation et l’expression douloureuse dépendent de facteurs neurobiologiques, psychologiques et culturels (modèle bio-psycho-social).
Elles résultent de la stimulation par une lésion, une inflammation, des terminaisons neuronales libres amyéliniques situées dans les tissus cutanés, musculaires, articulaires et les parois des viscères. Le 1er neurone (fibres A-delta et fibres C) transmet l’information nociceptive jusqu’aux cornes postérieures de la moelle. L’information douloureuse est ensuite transmise par une « chaine neuronale », via le tronc cérébral et le thalamus, vers le cortex somato-sensoriel et des structures corticales impliquées dans le traitement des informations émotionnelles, comme l’amygdale, et cognitives comme le cortex cingulaire, l’insula, le cortex pré-frontal ou l’hippocampe.
Elles résultent de la lésion de fibres nerveuses par exemple dues au diabète, au zona ou à une amputation. Elles peuvent persister longtemps après la disparition de la cause initiale.
Elles résultent d’anomalies de la régulation du message douloureux à différents étages :
On parle de douleur psychogène lorsque la douleur est signe d’un trouble psychiatrique ; elle touche souvent des zones ayant une charge symbolique. Il existe toujours une part psychologique à la douleur. On a parlé de douleur sine materia, de dépression masquée, de personnalité prédisposée à la douleur quand cette part était majoritaire. On insiste plus aujourd’hui sur des facteurs psychologiques qui contribuent à la douleur :
La part psychologique est souvent déniée par le sujet qui craint (parfois à juste titre) de ne pas être pris en considération. Face à la douleur le sujet va pourtant rechercher des ressources soit internes (le sujet conçoit avoir un certain contrôle sur la douleur) permettant qu’il soit acteur de ses soins, soit externes (recherche d’aide auprès des proches, des soignants, des médicaments) permettant une acceptation des soins et une observance thérapeutique Cf. Item 1. Les expériences personnelles, la culture, le contexte social, la personnalité vont aussi influencer la perception et l’expression douloureuse.
La relation étroite entre douleur (en particulier chronique) et épisode dépressif caractérisé s’explique par l’existence de structures cérébrales et de systèmes de neurotransmission communs. Il existe aussi des explications psychopathologiques comme des mécanismes de conditionnement partagés. Un épisode dépressif caractérisé est deux fois plus fréquent chez les patients douloureux chroniques (10 à 20 %) que dans la population générale (5,5 %). Elle est particulièrement fréquente dans les céphalées (27%). La fréquence des idées suicidaires, des tentatives de suicide et des suicides est plus élevée chez les patients souffrant d’une pathologie douloureuse chronique ; le risque dépend de la localisation (céphalées, abdomen), de l’intensité, de la cause de la douleur et des implications émotionnelles (dépression, anxiété). Les plaintes douloureuses sont retrouvées chez 75% des patients souffrant d’un épisode dépressif caractérisé ambulatoires et 90 % des hospitalisés (douleurs dorsales, céphalées, . . .). La présence de symptômes douloureux dans un épisode dépressif caractérisé est favorisée par :
Les études ont elles plutôt montré un seuil de douleur augmenté aux stimulations électriques et thermiques (mais pas à la pression) dans les épisodes dépressifs caractérisés. La douleur morale du patient souffrant d’un épisode dépressif caractérisé est signe de souffrance psychologique : son expression ressemble souvent à celle de la douleur physique.
La probabilité de survenue de céphalées, de dorsalgie ou arthralgies est multipliée par deux chez les patients présentant un trouble bipolaire (50 % des patients). Selon certains, la présence de migraines chez un patient souffrant d’un épisode dépressif caractérisé doit faire évoquer la bipolarité. La plainte douloureuse est la plainte somatique la plus fréquente chez le patient avec un épisode maniaque. Les sujets souffrant de fibromyalgie auraient beaucoup plus de risque de présenter un trouble bipolaire que des patients souffrant d’une polyarthrite rhumatoïde.
La douleur, aigue ou chronique, s’accompagne d’une anxiété qui va retentir sur l’évolution de la douleur : un niveau élevé d’anxiété diminue le seuil de perception (la douleur est ressentie pour une stimulation nociceptive plus faible) et diminue la tolérance à la douleur. Comme stratégie d’ajustement (cf. Item 01), l’anxiété peut réduire la capacité de contrôle de la douleur, renforcer un comportement inadapté et favoriser la chronicisation, soulignant l’importance de sa prise en charge. Les symptômes douloureux font partie des critères diagnostiques de certains troubles anxieux : par exemple l’attaque de panique (douleurs thoraciques ou paresthésies) ; on n’évoque cependant une douleur aigue symptôme d’anxiété qu’après avoir écarté une étiologie médicale non psychiatrique. L’association douleur et état de stress post-traumatique est aussi fréquente : le clinicien recherchera des éléments traumatiques récents ou anciens chez un patient douloureux chronique.
Les plaintes douloureuses sont classiquement peu exprimées par les patients souffrant de schizophrénie, en particulier lorsque les symptômes négatifs sont au devant du tableau clinique ; elles peuvent aussi être exprimées de façon inhabituelle ou bizarre du fait de la désorganisation de la pensée. Les patients ressentent la douleur mais l’expriment ou y réagissent peu ou mal. Il existe de ce fait une négligence fréquente de la part des patients (et des médecins) pour des pathologies médicales non psychiatriques douloureuses ; ces pathologies sont plus fréquentes que pour un groupe contrôle et, du fait de l’absence de plainte, il existe un retard au diagnostic pour des pathologies comme l’ulcère, l’appendicite, les fractures ou l’infarctus de myocarde. La plainte douloureuse peut aussi entrer dans le cadre d’une dimension délirante. Elle peut se voir dans les troubles délirants chroniques Cf. Item 63.
Peuvent apparaître contradictoires une apparente insensibilité à la douleur et des réactions vives à des stimulations non nociceptives. Il n’existe cependant pas de données pour soutenir la « croyance » que les enfants présentant des troubles du spectre autistique ressentent moins la douleur que les autres enfants. L’autisme est par contre caractérisé par des troubles comportementaux et de communications capables de modifier l’expression douloureuse, avec là encore un risque de retard diagnostique de la douleur et de sa cause. Il n’existe pas d’outil standardisé pour évaluer spécifiquement la douleur chez ces patients et l’évaluation doit être individualisée ; il a quand même montré une corrélation entre les mimiques faciales présentées par un enfant autiste et la perception douloureuse ressentie. Face à la douleur (et de façon parfois retardée), l’enfant avec autisme peut manifester des comportements à type de retrait, d’agressivité et de mutilations ; ces comportements doivent faire évoquer un processus douloureux.
Les troubles somatoformes du DSM-IV sont caractérisés par la présence de préoccupations et ou de manifestations somatiques dépourvues de substrat lésionnel cf Item 70. Les symptômes ne sont pas volontaires, contrairement aux troubles factices et à la simulation. Ils correspondent à un groupe hétérogène où les symptômes douloureux peuvent être au premier plan. Les conséquences sont :
Dans le DSM-5 cette catégorie sera remplacée par celle du « trouble à symptomatologie somatique » où les symptômes somatiques (dont la douleur) pourront être associés à une pathologie médicale non psychiatrique mais devront être accompagnés par des préoccupations, une anxiété ou des comportements durables (> 6 mois) et excessifs concernant ces symptômes somatiques ou l’état de santé en général et entrainer une souffrance et/ou une altération significatives de la vie quotidienne (professionnelle, sociale, familiale). Une comorbidité est fréquente avec les troubles dépressifs et anxieux. S’il existe une anxiété excessive concernant la santé mais que les symptômes somatiques, comme la douleur, sont absents ou modérés, sera plutôt porté le diagnostic de « crainte excessive d’avoir une maladie ».
Les douleurs sont plus fréquemment rencontrées chez les personnes avec un trouble de la personnalité, qui va influencer la façon dont la douleur est ressentie et exprimée.
Le grand âge s’accompagne de modifications des systèmes de perception, de transmission et de régulation de la douleur, et de l’efficacité des antalgiques. Chez le patient avec démence, les difficultés cognitives rendent en plus l’expression de la douleur difficile, avec des manifestations souvent comportementales (agitation, agressivité, troubles du sommeil, prostration, refus de soins ou de s’alimenter, confusion) qu’il faut savoir décoder. La douleur aggrave aussi les déficits cognitifs (attention, mémoire, vitesse de traitement). Les patients souffrant de démences sévères (MMS < 11) peuvent rester capables d’utiliser les échelles d’autoévaluation, mais une hétéro-évaluation est indispensable chez le patient ayant des troubles de communication (Doloplus, Algoplus, ECPA). Le traitement doit prendre en compte les modifications physiologiques (fonction rénale), les risques de la polythérapie ; une attention particulière doit être portée aux médicaments sédatifs ou ayant un effet anticholinergique. L’effet placebo est altéré avec nécessité d’augmenter les doses d’antalgiques dans cette population fragile à risque de troubles cognitifs et de confusion.
Si la douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, la rencontre avec une substance euphorisante peut permettre, pour un temps, de trouver du plaisir et un refuge face à la souffrance. La douleur est souvent sous-estimée chez les patients dépendants aux opiacés alors qu’il existe une hypersensibilité douloureuse chez ces patients, non corrigée par les produits de substitution. Il faut :
Il faut alors éviter les opïoides faibles, les agonistes partiels, les formes injectables et savoir penser aux thérapeutiques non-opiacées. Les médicaments analgésiques de type opiacés induisent potentiellement un phénomène de dépendance : le système opiacé est à la fois le système impliqué dans la perception de la douleur mais c’est aussi un système impliqué dans la mise en place et le passage à la chronicité de l’addiction quelle que soit la substance. Si l’addiction aux médicaments opiacés est fréquemment retrouvée chez les patients douloureux chroniques, l’addiction à l’alcool est aussi fréquente. Il existe plusieurs raisons à cela : tout d’abord, le système opioïde est particulièrement impliqué dans les effets renforçant de l’addiction à l’alcool ; par ailleurs, l’alcool est un puissant anxiolytique et sédatif qui, transitoirement, permet aux sujets douloureux de retrouver le sommeil et de diminuer l’anxiété associée à la perception douloureuse. Enfin, il est fréquent de retrouver une consommation de cannabis chez des patients souffrant d’une pathologie douloureuse chronique. Si les scientifiques reconnaissent qu’une consommation encadrée de cannabis per os a des vertus analgésiques, ces prescriptions n’ont pas l’AMM en France et il existe un risque de dépendance. Il est donc important de faire :
Il existe une sur-morbidité et une surmortalité par pathologies médicales non psychiatriques des patients souffrant de troubles psychiatriques. Les explications sont multiples :
Il est aussi nécessaire de rechercher un diabète ou toute pathologie susceptible de diminuer la perception douloureuse chez ces patients à risque. La prévention et le traitement des comorbidités médicales non psychiatriques doivent donc être systématiques. La douleur, qui est un signe d’alerte fréquent des ces pathologies doit être recherchée chez les patients avec un trouble psychiatrique, comme dans la population générale, en évitant tout jugement de valeur : il ne faut pas d’abord considérer la plainte douloureuse comme un mensonge, une simulation ou une douleur imaginaire ou délirante. Cela est parfois rendu difficile du fait de l’expression inhabituelle liée au trouble psychiatrique. Chez le patient avec des difficultés de communication, il faut être attentif aux changements de comportement (agitation, agressivité, repli, refus de soins) pouvant être des signes de douleur. Il faut aussi prévenir la douleur puisqu’elle sera chez ces patients plus difficile à identifier et faire attention aux douleurs induites par les soins (injections, mobilisation, contention, ect), et ne pas négliger les soins dentaires, souvent déficitaires, qui peuvent être à l’origine douleurs facilement évitables. Les équipes de soins peuvent s’appuyer sur les Comité de Lutte contre la Douleur (CLUD) et suivre les recommandations des plans ministériels (2006-2010). Inversement, les troubles anxieux et dépressifs doivent être systématiquement repérés et traités chez les patients douloureux du fait de leur fréquence et de leurs conséquences.
L’évaluation de la douleur chez le patient avec un trouble psychiatrique est la même que chez les autres patients, et les outils habituels sont utilisés (accessibles sur : http:/www/cnrd.fr). Elle est une obligation réglementaire chez les patients hospitalisés. Elle doit être tracée dans le dossier et utiliser le même outil lors d’évaluations répétées chez un même patient. La grille d’entretien semi-structuré avec le patient douloureux (ANAES-HAS, évaluation et suivi de la douleur chronique chez l’adulte en médecine ambulatoire fev. 1999) peut servir de guide pour le praticien. Pour l’intensité douloureuse, on accorde la préférence aux outils d’auto-évaluation : l’aphorisme « Seul celui qui l’éprouve peut décrire sa douleur précisément ; il en est le meilleur expert » reste vrai chez le patient avec un trouble psychiatrique ; on peut utiliser :
En cas de troubles de la communication et selon l’âge, les outils d’hétéro-évaluation disponibles pour l’enfant, la personne polyhandicapée, ou la personne âgée dyscommunicante sont utilisés à défaut d’évaluation spécifique à la psychiatrie. Il est par exemple possible d’utiliser l’Evaluation de l’expression de la Douleur chez l’Adolescent ou l’Adulte Polyhandicapé (EDAAP).
Ils s’adressent aux dimensions
De ce fait la prise en charge est souvent multidisciplinaire. Pour la dimension émotionnelle sont utilisés des traitements agissant sur l’anxiété et la dépression. La plupart des troubles douloureux relèvent d’une prise en charge par le médecin traitant. Le recours au psychiatre ou au psychologue peut se faire en cas de trouble psychiatrique caractérisée, de trouble de la relation médecin-patient ou pour accéder à des techniques de soins spécifiques.
Il y a d’abord une information (concernant la douleur, ses causes et ses conséquences) et une relation de soutien avec le patient Cf. Item 71. Il existe des soins spécifiques qui doivent être pratiqués par des professionnels de santé formés et habilités pour éviter inefficacité voire dérive. On peut les classer en soins :
On n’utilise pas le placebo mais l’effet placebo. En cas de douleur, donner une substance inactive et obtenir un soulagement ne veut pas dire que la douleur est imaginaire mais témoigne de cet effet placebo et de la relation de soins. Dans la douleur, l’effet placebo a montré être associé à la libération d’opioïdes endogènes.
Certains médicaments sont à la fois des médicaments indiqués dans les troubles anxieux et dépressifs :
Pour les antidépresseurs tricycliques, les effets antalgiques surviennent à des doses plus faibles que celles utilisées dans la dépression et il a été montré que l’effet antalgique était indépendant de l’effet antalgique, avec un délai d’action plus court. Il est recommandé de débuter à des doses faibles (env. 10mg/j) avec une augmentation progressive pour atteindre une dose minimale efficace qui se situe entre 50 et 75 mg/j. L’inhibition de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline par ces médicaments renforcerait les voies inhibitrices descendantes. Les neuroleptiques et les benzodiazépines ne possèdent pas d’efficacité antalgique démontrée, mais peuvent agir sur les dimensions émotionnelles et comportementales. Les médicaments antalgiques sont sinon les mêmes que ceux utilisés en population générale. Avec quelques points particuliers à connaître :
Les douleurs chroniques modérées concernent environ 1/5ème de la population générale. Un épisode dépressif caractérisé peut être à la fois la cause et la conséquence d’un syndrome douloureux. Un épisode dépressif caractérisé est deux fois plus fréquente chez présentant une douleur chronique que dans la population générale. La prévalence de la douleur chez les patients souffrant d’un trouble bipolaire est d’environ 50%. Il existe une prédominance pour les dorsalgies, les céphalées, les cervicalgies et les douleurs articulaires. L’association douleur-anxiété est très fréquente et ne doit pas être sous estimé dans le prise en charge d’un patient « douloureux ». La « douleur » fait partie des symptômes de certains troubles anxieux comme les attaques de panique. L’étude de la douleur chez les patients atteints de schizophrénie peut apparaitre complexe car le tableau clinique est très hétérogène. Ceci l’est encore plus chez patients présentant des symptômes négatifs au premier plan car les plaintes douloureuses sont peu exprimées. Il existe un retard diagnostic pour certaines pathologies, lié à la diminution de l’expression de la douleur. La plainte douloureuse peut rentrer, également dans le cadre d’un trouble délirant chronique. Il n’existe pas de données pour soutenir la « croyance » que les enfants présentant des troubles du spectre autistique ressentent moins la douleur que les autres enfants. Mais du fait des difficultés dans la communication, les douleurs sont moins exprimées. Malgré l’hétérogénéité des troubles somatoformes, des symptomatologies douloureuses sont très fréquemment associées au tableau clinique. Chez le patient avec démence, les difficultés cognitives rendent l’expression de la douleur difficile, avec des manifestations souvent comportementales. Par ailleurs, la douleur aggraverait les troubles cognitifs. Chez les patients présentant une ou des addictions, la douleur peut être sous estimée. De plus, il existe des dépendances fréquentes aux traitements antalgiques de palier 2 et 3. Il est donc important de faire :
La prise en charge de la douleur est indispensable chez les patients présentant des troubles psychiatriques. Elle est basée sur la prévention de la douleur elle-même et sur la prévention des complications des pathologies non psychiatriques concomitante. Les antalgiques utilisés sont les 3 paliers de l’OMS, les antidépresseurs et les antiépileptiques GABAergiques.