Points clés :
Agitation et Délire aigu constituent deux syndromes différents, qu’il s’agit de caractériser indépendamment. Ces deux syndromes, fréquemment retrouvés aux urgences, ne sont pas systématiquement associés. La démarche diagnostique et thérapeutique dépendra de la présence d’un seul ou des deux syndromes. L’agitation et les idées délirantes n’ont pas de spécificité diagnostique et peuvent se rencontrer dans de nombreux troubles. Une cause non psychiatrique doit être systématiquement envisagée chez toute personne présentant un état d’agitation ou des idées délirantes d’apparition récente.
La plupart du temps, la demande de soins dans le cadre de l'agitation aiguë n'émane pas du sujet mais de son entourage, qui fait alors souvent appel à des services d'urgence. Cette demande peut aussi émaner des forces de l'ordre intervenues à domicile ou sur la voie publique. L'agitation, qui représente 10 à 15 % des consultations psychiatriques aux urgences, est une situation complexe à gérer, car le praticien doit l'apaiser tout en laissant la possibilité de préciser le diagnostic qui sous tend ce symptôme.
Un état d’agitation se définit selon le DSM-IV comme « une activité motrice excessive associée à un état de tension intérieure. L’activité est en général improductive et stéréotypée. Elle se traduit par des comportements tels que la marche de long en large, l’impossibilité de tenir en place, des frottements des mains, le fait de tirailler ses vêtements, l’incapacité de rester assis ». Il s’agit donc d’un état de tension et d’hyperactivité physique et psychique. Dans la situation d’examen clinique, le sujet est impatient, ne tient pas en place, présentent des gestes répétitifs sans utilité ni but apparent. Les propos, cris, l’irritabilité, l’anxiété traduisent une tension psychique. Certaines situations peuvent témoigner d’une agitation « intérieure » isolée, qui ne s’accompagne pas forcément d’un retentissement comportemental. Ainsi, une forte anxiété avec hyperactivité improductive de la pensée peut se traduire par une sidération anxieuse, la tachypsychie avec fuite idéique au cours d’un épisode maniaque peut s’accompagner d’une sidération comportementale. L’agitation doit être distinguée de l’hyperactivité, dans laquelle la motricité est orientée vers un but. Elle doit également être distinguée de l’akathisie (nécessité impérieuse de se déplacer, mouvements incessants des jambes…).
L’interrogatoire du patient ou de son entourage doit permettre de recueillir deux types d’informations qui orienteront la prise en charge : les circonstances de survenue de l’état d’agitation et les antécédents du patient.
Une date de début de l’apparition de l’état d’agitation doit être recherchée, ainsi que la modalité d’apparition : en effet, une agitation apparaissant de manière brutale, en quelques heures, n’orientera pas vers la même étiologie qu’une agitation apparue de manière plus progressive, sur plusieurs jours ou semaines. Enfin, il faut rechercher un événement récent potentiellement à l’origine de la symptomatologie (voyage ? événement de vie stressant?). Aux urgences, l’agitation est sous tendue dans 60% des cas par une intoxication éthylique et dans 4% des cas par une autre cause médicale non psychiatrique.
Les antécédents, psychiatriques et non psychiatriques, doivent être détaillés, l’état d’agitation pouvant entrer dans le cadre d’une décompensation aigue d’une pathologie sous jacente.
La priorité est la recherche de symptômes de gravité mettant en jeu le pronostic vital :
Un examen physique est indispensable afin de rechercher des symptômes non psychiatriques associés, en priorité :
Le bilan biologique initial minimum doit permettre d’éliminer les étiologies mettant en jeu le pronostic vital ou fonctionnel :
Les causes à l’origine d’un état d’agitation sont nombreuses. L’approche consistant à raisonner en fonction des étiologies les plus fréquentes et/ou les plus graves en fonction du contexte épidémiologique permet de s’orienter de manière pragmatique. Trois situations fréquentes peuvent ainsi être distinguées (Cf. Tableau 1):
La priorité est d’éliminer une cause médicale non psychiatrique, qu’il existe ou non des antécédents de troubles psychiatriques connus. Une iatrogénie médicamenteuse, un trouble hydro-électrolytique ou métabolique, une cause neurologique doivent être recherchés en première intention.
De la même manière, chez l’adulte jeune, une pathologie médicale non psychiatrique doit être éliminée. On recherchera de manière prioritaire une étiologie toxique (intoxication ou sevrage), iatrogène, infectieuse.
Une fois ces diagnostics éliminés, on peut envisager un diagnostic de trouble psychiatrique. L’agitation est un symptôme totalement aspécifique, et tous les troubles psychiatriques peuvent entraîner un état d’agitation. En l’absence d’antécédents connus, les diagnostics étiologiques les plus fréquents sont :
La même démarche étiologique doit être gardée chez ces sujets. Une pathologie médicale non psychiatrique doit être éliminée en priorité. En effet, même si le diagnostic le plus probable de l’état d’agitation est celui d’une décompensation d’un trouble psychiatrique déjà connu, il faut rester vigilant, et notamment penser à rechercher une cause iatrogène à l’état d’agitation :
Le patient est hospitalisé en urgence, avec son consentement si possible, sans consentement en cas de refus et de mise en danger (SPDT / SDRE). La prise en charge thérapeutique en urgence comprend une dimension relationnelle, et une dimension chimiothérapeutique, symptomatique en urgence (sédation et anxiolyse), et de la pathologie sous jacente en cas si une étiologie non psychiatrique est retrouvée. La prévention du risque suicidaire et l’évaluation de la dangerosité pour autrui doivent être systématiques.
L’état d’agitation pose toujours le problème du passage à l’acte, auto ou hétéroagressif, comportement d’allure impulsive en rupture avec les conduites habituelles du sujet. Un contact verbal instaurant un climat de confiance facilitant une alliance thérapeutique, un comportement empathique peuvent tenter de prévenir un passage à l’acte. La prise en charge relationnelle est une obligation médicale puisqu’elle désamorce dans un nombre important de cas l’agressivité, mais aussi médico-légale puisque l’utilisation d’une contention physique ou chimique ne peut se justifier qu’après échec de la prise en charge relationnelle. Des règles générales sont ensuite à appliquer :
Le traitement médicamenteux est étiologique et curatif lorsqu’il existe une cause non psychiatrique. Lors d’une agitation dont l’étiologie ne peut être déterminée, si un traitement anxiolytique et sédatif est nécessaire du fait de l’intensité de l’agitation, peuvent être prescrits :
Une surveillance rapprochée (tolérance sur les fonctions vitales, efficacité sur l’état d’agitation) est indispensable. Lorsque qu’un trouble psychiatrique est à l’origine de l’état d’agitation, la mise en place d’un traitement adapté au trouble (thymorégulateur, antidépresseur, antipsychotique à visée antidélirante ou antimaniaque) doit se faire de manière différée, afin de permettre une évaluation sémiologique correcte à distance de la situation d’urgence, et après un bilan préthérapeutique.
Une idée délirante se définit selon le DSM-IV comme « une croyance erronée fondée sur une déduction incorrecte concernant la réalité extérieure, fermement soutenue en dépit de l’opinion très généralement partagée et de tout ce qui constitue une preuve incontestable et évidente du contraire. Il ne s’agit pas d’une croyance habituellement partagée par les autres membres du groupe ou du sous-groupe culturel du sujet (par ex. il ne s’agit pas d’un article de foi religieuse) ». On définit son caractère aigu par l’apparition récente depuis moins d’un mois.
Le thème délirant correspond au sujet principal sur lequel porte le délire. La thématique délirante correspond à l’ensemble des idées du patient sur lesquelles porte sa conviction délirante. Les thématiques peuvent varier à l’infini, être unique ou multiples dans un même délire, s’associer entre elles de façon plus ou moins logique. Chaque thème peut être trouvé dans plusieurs types de trouble psychiatrique. La thématique la plus fréquente est la persécution ; il faut dans ce cas rechercher s’il existe un persécuteur désigné, c'est-à-dire une personne nominativement désignée comme étant à l’origine des persécutions ou du complot.
Le mécanisme du délire correspond au processus par lequel le délire s’établit et se construit. Il s’agit du mode d’élaboration et d’organisation du délire. Il existe 4 types de mécanisme à l’origine des idées délirantes : les mécanismes interprétatif, hallucinatoire, intuitif et imaginatif.
Le degré de systématisation évalue l’organisation et la cohérence des idées délirantes. Elles peuvent être « non systématisées » (ou « paranoïdes ») si elles sont à thèmes multiples (polymorphes), sans cohérence ni lien logique entre elles. Elles sont dites systématisées (ou « paranoïaques ») si elles portent sur un thème unique (persécution, jalousie, érotomanie) et ont une organisation interne respectant la logique, même si le postulat de base est faux.
L’adhésion aux idées délirantes correspond au degré de conviction attaché à ces idées, est variable, mais peut être élevée. Lorsque la conviction est inébranlable, inaccessible au raisonnement et aux critiques, l’adhésion est dite « totale ». Lorsque l’adhésion est partielle, le patient est en mesure de critiquer son propre délire.
Le retentissement émotionnel et comportemental doit être évalué systématiquement : le niveau d’anxiété, souvent majeur, le risque suicidaire, et le risque de passage à l’acte hétéroagressif. La dangerosité pour soi-même ou pour autrui peut être la conséquence directe des idées délirantes (échapper au complot, expier ses fautes, se venger d’un persécuteur).
La présence associée d’hallucinations (définies comme des perceptions sans objet) doit être recherchée. Elles peuvent concerner tous les sens : acoustico-verbales (voix unique ou multiples, connues ou inconnues), visuelles, cénesthésiques (sensibilité profonde (ondes, décharges électriques…) ou tactiles (sensibilité superficielle), olfactives (odeurs de putréfaction…), gustatives (goût amer, de pourriture…). La présence d’un syndrome de désorganisation (cognitif, émotionnel ou comportemental), et / ou d’un syndrome négatif (cognitif, émotionnel et comportemental) doit également être recherchée.
De manière systématique, il faut explorer la symptomatologie thymique, et si possible déterminer la chronologie d’apparition des symptômes thymiques et psychotiques (concomitante ou non).
En cas de symptômes psychotiques d’apparition aiguë, la même démarche étiologique que celle décrite précédemment pour l’état d’agitation s’applique : la recherche systématique d’une pathologie médicale non psychiatrique est indispensable, quels que soient l’âge et les antécédents du patient. Chez la personne âgée, on recherche les mêmes causes que celles évoquées précédemment, avec là encore de manière prioritaire une cause iatrogène, un trouble hydro-électrolytique, une cause neurologique, une infection. Chez l’adulte jeune, on recherche de manière prioritaire une cause toxique (intoxication ou sevrage), iatrogène, infectieuse, métabolique ou endocrinienne. En l’absence de pathologie médicale non psychiatrique retrouvée, plusieurs possibilités de diagnostics psychiatriques peuvent être évoquées :
La prise en charge d’un état délirant aigu rejoint celle d’un état d’agitation aigu, à savoir :
Tableau 1 : étiologies non psychiatriques à évoquer devant un état d’agitation aigu selon le terrain
Chez un sujet âgé | Chez une sujet jeune sans antécédent connu | Chez un sujet ayant des antécédents psychiatriques | |
Étiologie médicamenteuse | une iatrogénie médicamenteuse | une iatrogénie médicamenteuse effets paradoxaux des benzodiazépines | un virage maniaque, hypomaniaque ou mixte suite à l'initiation d'un antidépresseur un syndrome sérotoninergique chez un patient suite à l'initiation d'antidépresseur un effet paradoxal des benzodiazépines un syndrome extrapyramidal des antipsychotiques (dyskinésie aiguë ou akathisie) un syndrome confusionnel induit par les psychotropes à action anticholinergique |
Étiologie toxique | une intoxication alcoolique aiguë ou un sevrage alcoolique (delirium tremens) intoxication aiguë à des substances psychoactives un sevrage de substance psychoactive une intoxication au monoxyde d'azote | une intoxication alcoolique aiguë ou un sevrage alcoolique (delirium tremens) intoxication aiguë à des substances psychoactives un sevrage de substance psychoactive une intoxication au monoxyde d'azote | une intoxication alcoolique aiguë ou un sevrage alcoolique (delirium tremens) intoxication aiguë à des substances psychoactives un sevrage de substance psychoactive une intoxication au monoxyde d'azote |
Autres étiologies | un trouble hydro-électrolytique, une pathologie endocrinienne ou métabolique une infection un globe vésical ou un fécalome une pathologie cardiovasculaire une pathologie neurologique ou neurochirurgicale | une pathologie métabolique ou endocrinienne une pathologie infectieuse une pathologie neurologique non infectieuse une embolie pulmonaire… | une pathologie médicale non psychiatrique en priorité |
Résumé :