Item 149. Endocardite infectieuse
Sommaire
L'endocardite infectieuse (EI) est une infection rare mais grave.
Son incidence augmente avec l'âge (maximum dans la tranche d'âge 75-80 ans) avec une prédominance chez l'homme. L'incidence des EI associées aux soins est en forte augmentation: dialysés chroniques, vie en institution, perfusion à domicile, porteurs de stimulateur cardiaque ou de défibrillateur implantable.
Les EI sont dues à 90% à des streptocoques, entérocoques et staphylocoques mais la proportion des EI à Staphylococcus aureus est en constante augmentation.
La lésion élémentaire est une végétation constituée d'amas fibrino-plaquettaires et de micro-organismes. Les végétations sont à l'origine de destruction valvulaire induisant l'apparition ou l'aggravation de la défaillance cardiaque et/ou de manifestations à distance : foyers septiques secondaires, vascularite, anévrysmes mycotiques.
L'admission en réanimation d'une endocardite est le plus souvent liée à une ou plusieurs complications : hémodynamique ou neurologique. Le germe prépondérant des EI graves est le S. aureus (parfois nosocomial) du fait de la virulence de cette espèce entraînant des lésions valvulaires et périvalvulaires destructrices et une fréquence élevée de complications neurologiques. L'antibiothérapie bien codifiée doit tenir compte du fait que l'inoculum bactérien est très élevé à l'intérieur de la végétation et que les antibiotiques diffusent mal en leur sein. Le recours à la chirurgie et son délai doivent être discutés. La mortalité des EI est élevée en réanimation (30 à 50 %) par rapport à la mortalité générale (10 à 20 %).
1. Les différents types d'EI
Trois types d'EI se différencient par la clinique, les germes en cause et le pronostic.
EI natives gauches :
EI du cœur droit : tricuspides plus rarement pulmonaires, chez les toxicomanes IV surtout.
EI sur prothèses :
A part, les EI nosocomiales sur valves natives (droites ou gauches) dont la porte d'entrée est un abord vasculaire : cathéter ou fistule artério-veineuse pour hémodialyse et les EI sur pacemaker.
2. Germes en cause
Par ordre de fréquence décroissant : streptocoques (49%), S. aureus (18%), entérocoques (9,5%), staphylocoques à coagulase négative, bacilles à gram négatif et champignons. L'incidence des S. aureus est cependant en croissance.
EI natives du cœur gauche et sur prothèses tardives : prédominance des streptocoques.
EI des toxicomanes : S. aureus et champignon.
EI sur prothèses précoces : staphylocoques à coagulase négative et S. aureus.
EI admises en réanimation : germes virulents (S. aureus surtout).
EI à hémocultures négatives (10%) car:
La présentation clinique est très polymorphe. La fièvre et un souffle cardiaque de régurgitation sont présents chez respectivement 90% et 85% des patients au moment du diagnostic. La porte d'entrée n'est identifiée que dans la moitié des cas.
Installation en quelques jours du tableau : fièvre élevée, état septique sévère, complications cardiaques et/ou métastatiques souvent inaugurales motivant l'admission en réanimation.
Germes les plus fréquents : S. aureus, plus rarement S. pneumoniae et bacilles à gram négatif.
Installation en plusieurs semaines d'une fièvre modérée.
Germes : surtout streptocoques et entérocoques.
Le train d'hémocultures doit en comprendre au moins 3, à 1 heure d'intervalle. Deux hémocultures positives suffisent au diagnostic en cas de streptocoques, entérocoques, S. aureus, bactéries du groupe HACCEK ; mais plus d'exigence en cas de bacilles à gram négatif.
Dans les cas d'hémocultures stériles (10%) pour les causes citées plus haut : faire en outre sérologie, PCR et autres techniques de biologie moléculaire en développement.
L'examen direct et la culture des valves sont systématiques en cas de chirurgie.
Intérêt diagnostique : mise en évidence et recherche de végétations, d'abcès périvalvulaires ou du septum, et/ou de déhiscences de prothèse valvulaire.
Intérêt pronostique : quantification de la régurgitation, de l'extension péri-annulaire et de la taille des végétations.
3.1. Echocardiographie par voie transthoracique (ETT) : examen de première intention, non invasif, rapidement disponible : spécificité 98% mais sensibilité 60%.
3.2. Echocardiographie par voie transoesophagienne (ETO) : sensibilité proche de 100% pour la mise en évidence de végétations et d'abcès.
L'ETO est indispensable si :
Elle peut être de réalisation délicate chez le patient en détresse respiratoire ou ayant des troubles de la conscience en ventilation spontanée.
Les examens d'imagerie (scanner, échographie, IRM) sont indiqués pour la recherche de foyers septiques secondaires. Ils sont guidés par la clinique.
Les critères diagnostiques de Duke sont actuellement largement utilisés et validés (tableaux 1et 2).
IV. Diagnostic de gravité
La gravité d'une EI est liée aux complications hémodynamiques et neurologiques qui motivent l'admission du patient en réanimation.
Elle survient dans près de 40% des cas, constitue 60 à 90% des indications chirurgicales et est la cause de 60% des décès en phase précoce.
Causes :
Diagnostic : OAP, souffle de régurgitation important mais surtout échocardiographie-Doppler qui quantifie la fuite, la fonction VG, la pression artérielle pulmonaire et met en évidence une éventuelle thrombose valvulaire (examen à répéter si besoin).
Symptomatique d'une complication grave : rupture d'un abcès ou hémopéricarde. Diagnostic et surveillance par échocardiographie.
Surtout EI à S. aureus et à bacilles à gram négatif.
Surtout EI tricuspides et pulmonaires : parfois hypoxémie sévère et opacités pulmonaires en foyers à la tomodensitométrie pulmonaire.
Entraînant une ischémie myocardique dont la gravité dépend du territoire atteint.
Elles surviennent généralement précocement, dans 20 à 30% des EI du cœur gauche, et sont parfois le motif d'admission en réanimation. Elles grèvent le pronostic et compliquent la prise en charge notamment en cas d'indication chirurgicale potentielle. Tous les germes peuvent être en cause mais en premier lieu les S. aureus. Le risque de survenue d'une complication neurologique diminue cependant à mesure que les jours de traitement antibiotique approprié s'accumulent.
Liés à la migration de fragments de végétations du cœur gauche, ils représentent près de la moitié des complications neurologiques.
Clinique : accident ischémique constitué ou transitoire correspondant au territoire atteint (site et taille ischémie).
7 à 25% des accidents neurologiques des EI. Elles sont liées soit à une complication d'une ischémie chez les patients sous anticoagulants (prothèses valvulaires) soit à une érosion septique d'une paroi artérielle (surtout S. aureus) soit à la rupture d'un anévrysme mycotique.
4 à 16% des complications neurologiques. Liés surtout aux S. aureus. Diagnostic par tomodensitométrie ou IRM.
La survenue d'une méningite à S. aureus en dehors d'un contexte neurochirurgical doit faire rechercher une EI. Les méningites purulentes sont surtout liées à S. pneumoniae.
La survenue d'une complication neurologique aggrave la mortalité (> à 50 %). En cas d'accident ischémique sous AVK, ils doivent être remplacés par l'héparine non fractionnée. En cas d'accident hémorragique, le traitement anticoagulant doit être temporairement suspendu.
Il s'agit d'embolies artérielles périphériques : membres, reins, plus rarement rate et mésentère. Les localisations oculaires donnent au fond d'œil les taches de Roth : hémorragies associées à des exsudats blanchâtres.
En cas d’EI aiguë ou grave, l’antibiothérapie doit être débutée immédiatement après la réalisation des hémocultures. Le traitement symptomatique vise à améliorer l’oxygénation sanguine, à prendre en charge une défaillance cardiaque gauche ou un état de choc. Les troubles de la conscience peuvent justifier selon leur sévérité d’une ventilation artificielle tout comme une détresse respiratoire aiguë.
En cas d’EI subaiguë, il est préférable d’attendre le résultat des hémocultures voire les répéter pour guider l’antibiothérapie.
L'antibiothérapie doit respecter les principes suivants :
Le choix des antibiotiques dépend du germe isolé ou suspecté selon la porte d'entrée, de son profil de résistance aux antibiotiques, de la survenue sur valve native ou prothèse valvulaire. Initialement, une association synergique β-lactamine-aminoside est souvent réalisée. Les traitements antibiotiques sont détaillés dans le tableau 3.
Un traitement chirurgical est réalisé dans la phase aigue chez 1/3 des patients, tandis que 20 à 40 % de patients supplémentaires sont opérés secondairement.
L'acte chirurgical doit être discuté au cas par cas en s'appuyant sur les données cliniques, échocardiographiques, hémodynamiques et parfois microbiologiques. Le délai de l'intervention est important à considérer : trop précoce, il expose à un risque de désinsertion de la prothèse alors que trop tardif il aggrave fortement la morbidité voire la mortalité. L'objectif est de réséquer les tissus infectés ou nécrosés et de réparer (valve tricuspide et parfois valve mitrale) ou remplacer les valves atteintes (valve mécanique ou hétérogreffe selon l'âge et l'existence ou pas d'une fibrillation auriculaire).
Les indications absolues de la chirurgie des EI sont :
Les indications relatives, généralement retenues :
Les indications controversées :
Les contre-indications temporaires ou définitives et les non-indications :
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Points clés
Tableau 1. Définitions des critères modifiés de Duke.
Critères majeurs
Hémocultures positives :
- hémocultures prélevées à plus de 12 heures d'intervalle,
- ou que 3/3 hémocultures ou la majorité (s'il en est réalisé plus) soient + et que l'intervalle séparant la 1ère de la dernière soit > à 1 heure
Atteinte de l'endocarde :
Critères mineurs
Tableau 2. Classification diagnostique selon les critères modifiés de Duke.
Endocardite certaine
ou
ou
ou
Endocardite possible
ou
Endocardite exclue
ou
ou
Tableau 3. Traitement antibiotique des endocardites infectieuses
Germes | Schéma | Alternative (allergie) | Durée |
Streptocoques Péni G-S (CMI < 0,125 mg/L) | Amoxicilline (100 mg/kg/j) ou Ceftriaxone (2 g/j) | Vancomycine (30 mg/kg/j)\\ | si valve native et pas de complication: 4 semaines |
Streptocoques Péni G-S (CMI < 0,125 mg/L) | Amoxicilline (100 mg/kg/j) ou Ceftriaxone (2 g/j) + Gentamicine (3 mg/kg/j) | Vancomycine (30 mg/kg/j) + Gentamicine (3 mg/kg/j) | si complication et/ou prothèse : 2 semaines bithérapie puis 2 à 4 semaines monothérapie |
Streptocoques sensibilité diminuée à la pénicilline (0,125 < CMI ≤ 2 mg/L) | Amoxicilline (200 mg/kg/j) ou Ceftriaxone (2 g/j) + Gentamicine (3 mg/kg/j) | Vancomycine (30 mg/kg/j) + Gentamicine (3 mg/kg/j) | 2 semaines bithérapie puis 2 semaines monothérapie (4 semaines si complication et/ou prothèse) |
Entérocoques sensibles aux β-lactamines et bas niveau de résistance à la gentamicine\\ | Amoxicilline (200 mg/kg/j + Gentamicine (3 mg/kg/j) en 2 injections | Vancomycine (30 mg/kg/j) + Gentamicine (3 mg/kg/j) en 2 injections | 4-6 semaines dont 2 semaines de bithérapie |
Streptocoques ou entérocoques résistants aux β-lactamines | Vancomycine (30 mg/kg/j) + Gentamicine (3 mg/kg/j) (si résistance bas niveau) | 4-6 semaines | |
Staphylocoque méti-S | Oxacilline (200 mg/kg/j) + Gentamycine (3 mg/kg/j) en 1 injection + Rifampicine (20-30 mg/kg/j) si prothèse | Vancomycine (30 mg/kg/j) ou daptomycine (8-10 mg/kg/j) + Gentamicine (3 mg/kg/j) en 1 injection + Rifampicine (20-30 mg/kg/j) si prothèse | 4-6 semaines dont 3-5 jours de gentamicine |
Staphylocoque méti-R | Vancomycine (30 mg/kg/j) ou daptomycine (8-10 mg/kg/j) + Gentamycine (3 mg/kg/j) en 1 injection + Rifampicine (20-30 mg/kg/j) si prothèse | 6 semaines | |
Entérobactérie | Cefotaxime (150-200 mg/kg/j) + Gentamicine (3 mg/kg/j) en 1 injection | 4-6 semaines dont 5 jours de bithérapie | |
Pseudomonas aeruginosa | β-lactamine anti-pyocyanique + aminoside | 6 semaines dont 2 semaines de bithérapie | |
C. burnetii | Doxycycline 200 mg/j + hydroxychloroquine (200 - 600 mg/j) ou Ofloxacine (400 mg/j) | > 18 mois | |
Brucella | Doxycycline 200 mg/j + Rifampicine 600 mg/j + cotrimoxazole (960 mg/12 h) | ≥ 3 mois | |
Bartonella spp | Amoxicilline (100 mg/kg/j) ou Ceftriaxone (2 g/j) ou Doxycycline (200 mg/j) + Gentamicine (3 mg/kg/j) en 1 injection | 6 semaines dont 3 semaines de bithérapie | |
Candida | Amphotéricine B + 5-Flucytosine | > 3 mois | |
Pas de documentation si valve native \\ | Amoxicilline-acide clavulanique (12 g/j) + Gentamicine (3 mg/kg/j) | Vancomycine (30 mg/kg/j) + Gentamicine (3 mg/kg/j) + Ciprofloxacine (400 mg x 2/j) | 4 à 6 semaines dont 2 semaines de bithérapie |
Pas de documentation si prothèse | Vancomycine (30 mg/kg/j) + Gentamicine (3 mg/kg/j) + Rifampicine (20-30 mg/kg/j) | 6 semaines de traitement dont 2 semaines de gentamicine |