L'insuffisance hépatique aiguë (IHA), qui survient en l'absence de maladie hépatique prélalable, et l'insuffisance hépatique des hépatopathies chroniques connues (comme la cirrhose) sont deux formes d'insuffisance hépatocellulaire (IH) qui ne partagent ni le même profil évolutif ni le même pronostic.
La gravité d'une IH est fonction :
• de l'importance des signes liés à la réduction des fonctions hépatocytaires ;
• de l'étiologie, surtout pour l'IHA.
Le foie synthétise de nombreux facteurs de coagulation dont la demi-vie plasmatique est très variable : les activités des facteurs I (fibrinogène, 4-6 jours), II (prothrombine, 60 heures), V (proaccélérine, 15-24 heures), VII (proconvertine, 6 heures), IX (facteur antihémophilique B, 20-28 heures), X (facteur Stuart, 36-48 heures) sont abaissées chez les patients ayant une IH, et en premier les facteurs dont la demi-vie est la plus courte. Le facteur V, non vitamine K-dépendant, est le meilleur marqueur de gravité. L'IHA est qualifiée de « grave » ou « sévère » si le facteur V est < 50 %, mais une autre classification internationale utilise la valeur seuil de l'INR > 1,5.
Les thrombopénies (< 100 000/mm3) sont fréquentes, les coagulopathies de consommation par CIVD plus rares. En l'absence de thrombopénie sévère, le risque hémorragique est modéré et n'est pas une cause de mortalité fréquente. Toutes les autres synthèses hépatiques sont également réduites, notamment celles de l'urée et de l'albumine. Du fait de la longue demi-vie de l'albumine (21 jours), l'hypoalbuminémie n'est pas un bon marqueur car trop tardif, pouvant être liée à une hémodilution ou une fuite extravasculaire.
L'encéphalopathie hépatique (EH) est une encéphalopathie métabolique due à l'accumulation de substances neurotoxiques secondaires à l'IH. Elle témoigne de l'importance des lésions hépatocytaires (le plus souvent nécrose). L'existence ou non d'une EH, son délai de survenue après le début de l'ictère et le taux de facteur V permettent de distinguer plusieurs formes d'IHA. (tableau 20.1).
Tableau 1 Différentes formes d'insuffisance hépatique aiguë sur foie sain
Facteur V | Encéphalopathie hépatique | Intervalle Ictère - EH |
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Insuffisance hépatique aiguë (hépatite aiguë) | > 50 % | absente | |
Insuffisance hépatique aiguë sévère | < 50 % | absente | |
Insuffisance hépatique fulminante (IHF) | < 50 % | présente | < 2 semaines |
Insuffisance hépatique subfulminante (IHSF) | < 50 % | présente | 2 semaines à 3 mois |
L'EH est habituellement classée en quatre grades cliniques de gravité croissante (classification de West Haven, tableau 20.2). Cette classification prévoit même un stade infraclinique (grade 0, anomalies détectées par seuls tests psychométriques). Dès le stade initial de l'EH, l'EEG peut objectiver un ralentissement du rythme de base puis ultérieurement des ondes triphasiques.
Tableau 2 Stades de gravité de l'EH
Grade | Symptômes | Score de Glasgow associé |
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I | Astérixis (ou flapping tremor) intermittent ou discret Désorganisation du cycle veille/sommeil | Y : 4 M : 6 V : 4/5 | 14/15 |
II | Confusion, somnolence, agitation Astérixis franc | Y : 4 M : 6 V : 3/4 | 13/14 |
III | Absence de contacts, réponse adaptée aux stimuli Astérixis | Y : 3/4 M : 5/6 V : 2/3 | 10-13 |
IV | Coma sans signe de focalisation Disparition de l'astérixis | Y : 1/2 M : 1-5 V : 1/2 | 3-9 |
Il est important de s'assurer que cette encéphalopathie n'est pas artificiellement majorée par des facteurs médicamenteux, une hypoglycémie, une hyponatrémie, une hypoxémie ou une hypercapnie. On peut observer des convulsions dans les formes graves.
L'hypertension intracranienne (HTIC) est également une complication de l'IHA, notamment chez les sujets jeunes en encéphalopathie grade IV. L'œdème cérébral, parfois présent dès le grade III de l'EH, peut être réfractaire au traitement et entraîner la mort cérébrale par engagement pour les formes les plus graves. L'intérêt du scanner cérébral est moins de diagnostiquer l'œdème cérébral - l'effacement des sillons, le collapsus des ventricules et la non-différenciation substance blanche/substance grise sont inconstants - que d'éliminer une complication hémorragique.
Les signes sont :
• un foie dont la taille diminue rapidement est considéré comme un signe de mauvais pronostic ;
• une ascite modérée est fréquente ;
• l'ictère est d'intensité variable, à prédominance de bilirubine conjuguée. L'hyperbilirubinémie, surtout liée à la durée de l'évolution est de mauvais pronostic si elle est majeure (> 300 μmol/L) ;
• l'élévation des transminases (ASAT, ALAT) est généralement franche voire massive (≥ 100 × N), sans valeur péjorative ;
• le taux d'alphafœtoprotéine reflète la régénération hépatique, les valeurs mesurées à l'admission sont très variables ;
• l'hypoglycémie (insulinémie élevée, diminution de la néoglucogenèse) doit être régulièrement recherchée et prévenue en particulier lorsque le malade présente une EH. Une intolérance au glucose est fréquente au stade précoce.
• l'hyperlactatatémie artérielle, reflétant une production augmentée et/ou une diminution de la clearance hépatique du lactate, représente un critère demauvais pronostic
• l'ammoniémie est bien corrélée à l'HTIC si elle est très élevée (> 150-200 μmol/L).
Une défaillance hépatique extrême est susceptible d'entraîner un syndrome de défaillance multiviscérale (SDMV) responsable du décès.
La pression artérielle est souvent basse en cas d'IHA grave. Le profil hémodynamique hyperkinétique peut être du à une infection intercurrente. L'hypotension peut aussi être en rapport avec une hémorragie. À l'inverse, des poussées hypertensives peuvent témoigner de la sévérité d'une HTIC.
Une insuffisance rénale aiguë (IRA) oligoanurique est fréquemment observée en cas d'IHA. Il peut s'agir d'une IRA fonctionnelle par hypovolémie, d'un syndrome hépatorénal. Dans d'autres situations (toxiques, médicaments), l'IRA peut être organique, en rapport avec une nécrose tubulaire aiguë. L'insuffisance rénale favorise l'hyperhydratation interstitielle et l'hyponatrémie de dilution. Elle complique le traitement de l'œdème cérébral. Une acidose métabolique peut être secondaire à l'IRA ou liée à une hyperlactatémie.
Une hyperventilation alvéolaire avec alcalose respiratoire est habituelle et précoce, liée à l'EH. Une acidose respiratoire peut s'observer dans les formes graves d'EH (coma), en cas d'encombrement bronchique ou d'épuisement musculaire (recherche d'une hypophosphorémie) ; elle impose une assistance respiratoire.
L'hypoxémie peut être liée à des atélectasies, à une pneumopathie infectieuse ou à un œdème lésionnel (SDRA) lié à la sévérité de l'IH.
La diminution de plusieurs mécanismes de défense et la multiplicité des gestes et techniques invasives rendent compte d'un risque important de survenue d'infections pulmonaires, urinaires ou bactériémiques. Les germes le plus souvent retrouvés sont les entérobactéries (E. coli), staphylocoques, streptocoques et Candida. La symptomatologie est souvent atypique, marquée par une aggravation de l'atteinte polyviscérale (état de choc).
L'étiologie est un facteur important du pronostic. Les infections virales A et les intoxications au paracétamol ont le meilleur taux de survie (tableau 20.3). La mise en route précoce d'un traitement étiologique, lorsqu'on en dispose, est le meilleur garant d'une évolution simple. La N-acetyl cystéine (NAC), antidote de l'intoxication au paracetamol, a également un intérêt dans les autres causes et doit être utilisée le plus précocément possible.
Tableau 3 Étiologies des IHA fulminantes ou subfulminantes. IHA : insuffisance hépatique aiguë ; NAC :N-acétyl-cystéine
Étiologies | Particularités | fréquence d'IHA | Traitement spécifique ou adjuvant | Évolution* |
Hépatites virales aiguës | ||||
VHA | 0,01 % | Survie 70 % | ||
VHB | 1 % | Entecavir, tenofovir NAC | Survie 20-35 % | |
VHC | Non, si VHC seul | |||
VHD | Associée à VHB | |||
VHE | Asie, Afrique, femme enceinte | NAC, Ribavirine | ||
Herpès simplex virus, VZV, CMV, EBV, HHV6 | nouveau-né, femme enceinte, immunodéprimé | Acyclovir, ganciclovir, foscarnet, NAC | ||
Parvovirus B19, adénovirus | ||||
Dengue | ||||
Leptospirose | Antibiothérapie | |||
Hépatites médicamenteuses | ||||
Paracétamol | Gravité dose dépendante Facteurs favorisants : jeûne, alcool, hépatopathie chronique | 1re cause des HF | NAC | Survie 70 % |
Autres médicaments (très nombreux) | AINS, anticomitiaux, anituberculeux, antirétroviraux…) | La fréquence élevée justifie l'arrêt des médicaments devant une IHA | NAC | Survie 30 % |
Hépatites aiguës toxiques | ||||
Champignons (amanites phalloïdes, vireuses et Lepiota helveola) | Diarrhées-vomissements (H6-12), cytolyse retardée (H48) | Élevée | NAC, pénicilline | Survie 70 % |
Autres : ecstasy, cocaine CCl4, phosphore, sels de fer… | NAC | |||
Autres causes | ||||
Hypoxique (insuffisance cardiaque grave, insuffisance respiratoire, choc) | Signes biologiques différés de 24-72 heures | |||
Obstruction des veines sus-hépatiques (syndrome de Budd-Chiari) | Rechercher un syndrome myéloprolifératif, un déficit en inhibiteur de la coagulation | Anticoagulants | Survie 20-30 % | |
Hépatites auto-immunes | Corticoïdes | Survie 15-20 % | ||
Hyperthermie maligne | ||||
Infiltration maligne massive (cancer, hémopathie maligne) | ||||
Stéatoses micro-vésiculaires (stéatose aiguë gravidique, syndrome de Reye) | ||||
Maladie de Wilson | Hémolyse associée fréquente | D-pénicillamine | Survie < 10 % | |
Cause indéterminée | ||||
15 à 20 % des IFH/SF | Survie 15-20 % |
Évolution après réanimation en l'absence de transplantation hépatique.
La transplantation hépatique en super-urgence est le traitement des formes les plus sévères d'IHA après transfert dans un centre de transplantation. L'indication de la greffe est retenue sur des critères prédictifs d'un risque de décès élevé : l'étiologie, l'âge, la présence d'une EH et l'effondrement du TP/facteur V jouent un rôle central dans cette prise de décision. Les principales causes de décès avant greffe sont le SDMV, l'infection et l'HTIC (engagement cérébral).
L'IH peut refléter un état terminal de l'hépatopathie pour laquelle la transplantation hépatique « élective », lorsqu'elle est possible, représente le seul recours. Elle ne peut cependant être réalisée en super-urgence dans ce cas.
Le plus souvent la poussée d'IH survient à l'occasion d'une complication qu'il faut rechercher : une hémorragie liée à l'hypertension portale, une infection bactérienne ou fongique (liquide d'ascite et autres sites) ou même virale (VHA, VHB, VHC), une recrudescence de l'intoxication alcoolique (hépatite alcoolique).
Un cas particulier est représenté par l'IH après hépatectomie réglée ou élargie (surtout si le foie sous-jacent est cirrhotique). Les possibilités de régénération dépendent du volume du foie restant.
Le déficit en facteurs de coagulation (baisse du TP, facteur V, allongement de l'INR) est analogue à ce qui existe dans l'IHA, rarement aussi profond cependant. Il existe une activation du système fibrinolytique et les vraies CIVD sont rares. Une thrombopénie peut être due à l'hypersplénisme.
Ce score (model for end-stage liver disease - MELD), dont la valeur croît avec la sévérité de l'IH, est calculé en fonction de l'INR, la bilirubine totale, la créatinine sérique, et la nécessité ou non d'hémodialyse. Il prédit de façon excellente la probabilité de décès de l'absence de greffe. L'hypoalbuminémie est aussi un bon marqueur de gravité.
Elle peut être responsable d'un coma profond avec signes de décérébration potentiellement réversible mais ne s'accompagne généralement pas d'HTIC.
La pression artérielle est souvent basse en cas d'IH grave, du fait d'une vasodilatation artérielle splanchnique (excès de NO). Le profil hémodynamique est semblable à celui du choc septique hyperkinétique : index cardiaque élevé, résistances vasculaires systémiques basses, pressions de remplissage basses.
Une insuffisance rénale aiguë (IRA) oligoanurique est fréquemment observée. Dans la majorité des cas, il s'agit d'une IRA de type fonctionnelle (syndrome hépatorénal de type I ou II) évoluant parallèlement aux fluctuations de la fonction hépatique.
Comme dans l'IHA, l'hyperventilation elle est liée à l'EH. L'hypoxémie peut être liée à l'ouverture de shunts intrapulmonaires (syndrome hépatopulmonaire), à des atélectasies, un hydrothorax, une pneumopathie ou à un œdème lésionnel (SDRA) lié à la sévérité de l'IH ou à une infection systémique.
En l'absence de régression de l'IH ou de transplantation, le décès survient par SDMV.
Points clés
• Les signes de gravité d'une insuffisance hépatocellulaire aigue sont :
- l'abaissement du facteur V en dessous de 50 % ;
- une encéphalopathie clinique avec astérixis, confusion puis coma, voire œdème cérébral ;
- la présence de défaillances multiviscérales (rénales, circulatoires, respiratoires) ;
- la persistance d'une lactatémie supérieure à 3 mmol/L chez les patients présentant une intoxication au paracétamol, mesurée après correction d'une hypovolémie initiale ;
• Les signes de gravité d'une insuffisance hépatocellulaire sur hépatopathie chronique sont liées aux complications en cause dans l'IH et au score MELD.
• La transplantation hépatique doit être envisagée et l'indication discutée différemment selon le type de pathologie : IHA (super-urgence) ou hépatopathie chronique cause de l'IH, (transplantation différée).
Pour en savoir plus
Bernal W, Wendon J. Acute liver failure. N Engl J Med. 2013 Dec 26;369(26):2525-34. Wang DW, Yin YM, Yao YM. Advances in the management of acute liver failure. World J Gastroenterol. 2013 Nov 7;19(41):7069-77