L’insuffisance rénale aiguë est définie par une baisse aigue de la filtration glomérulaire. Le diagnostic d’IRA repose sur une élévation aiguë de la créatininémie, soit depuis moins de 3 mois mais en règle générale observée sur quelques heures à jours. Des élévations meme modeste de la créatinémie (dès + 25µmol/L) doivent être prises en considération. L’oligurie (de définition variable, à titre d’exemple : < 500 mL/j ou <0,5 mL/kg/h) et l’anurie (<100 mL/j) indiquent des stades de gravité croissants, toutefois, certaines IRA sévères peuvent être à diurèse conservée. Un patient présentant une insuffisance rénale chronique peut faire un épisode d’IRA, définie par une augmentation de la creatininémie au delà des valeurs usuelles (IRA sur IRC). La mortalité associée à l’insuffisance rénale aigue est élevée, aux alentours de 50% et même de 70% en cas de nécessité de recours à un moyen d’épuration extra rénale. Cette mortalité élevée est liée au terrain (personnes âgées, comorbidités…) et aux pathologies (choc septique…) sur lesquelles survient l’IRA et aux conséquences de l’IRA elle même. L’IRA est fréquemment une maladie nosocomiale et/ou iatrogène, se développant en cours d’hospitalisation, conséquence des traitements (diurétiques, antihypertenseurs, AINS, néphrotoxiques, produit de contraste radiologique…) ou des complications infectieuses acquises à l’hôpital.
La constatation d’une créatinine élevée doit faire immédiatement rechercher les critères de gravité qui imposes une prise en charge urgente, notamment une éventuelle épuration extra rénale (dialyse, hémofiltration).
⇒ En pratique, évaluer en urgence : ionogramme-gazométrie artérielle/ECG + diurèse + surcharge pulmonaire !
Trucs et astuces
La comparaison des chiffres de créatininémie actuelle avec des chiffres antérieurs récents de créatinine est un argument clé. En l’absence de biologie récente disponible, le contexte est une aide précieuse : en présence d’une pathologie aigue connue pour donner un insuffisance rénale (par exemple choc septique), il est probable que l’insuffisance rénale soit aigue (sans préjuger d’une part chronique éventuelle préexistente). Sauf en cas de constatation d’une diminution franche de taille des reins à l’échographie (<8cm), la taille des reins est le plus souvent peu informative. De même, l’anémie et l’hypocalcémie sont des éléments peu discriminants, car tardifs dans l’insuffisance rénale chronique et souvent présents dans les situations aiguës (conséquence du remplissage vasculaire, de l’inflammation, rabdomyolyse…).
Les causes des IRA sont classées en trois grandes categories: IRA obstructive, IRA fonctionnelle et IRA parenchymateuse. Ces entités peuvent être combinées simultanément. Les éléments diagnostics des trois formes d’IRA (fonctionnelle, obstructive, parenchymateuse) doivent systématiquement être recherchés, même si une des formes paraît évidente. L’intensité de l’atteinte rénale n’a pas de caractère discriminant pour le diagnostic.
Environ 10% des IRA sont obstructives. L’obstacle sur les voies urinaire peut être sous vésical (urêtre) ou sus vésical (uretère, atteinte bilatérale ou unilatérale avec rein fonctionel unique), voir tableau 1. Le diagnostic d’une obstruction des voies urinaires repose dans l’ordre sur:
Le traitement repose sur la dérivation rapide des urines. Selon les capacités techniques locales et la nature de l’obstacle différentes techniques pourront être réalisées. Pour les obstacle sous vésicaux, la dérivation sera réalisée par sondage urinaire ou cathéter sus pubien. Pour les obstacles urétéraux, la dérivation peut faire appel à la pose de sonde (s) JJ, sonde(s) urétérale(s), ou à la pose de néphrostomie(s) percutanée(s).
Tableau 1 Causes des IRA obstructives
Causes fréquentes |
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Lithiases (urique, calcique, médicamenteuse) |
Hypertrophie prostatique et/ou prostatite |
Tumeurs malignes compressives: cancers génitaux féminins, cancer de la vessie, cancer de la prostate, tumeurs urétérales, cancer du côlon, adénopathies lymphomateuses rétropéritonéales |
Obstruction de sonde urinaire / JJ / urétérale / néphrostomie déjà en place |
Plus rarement |
Complication de la chirurgie urologique, gynécologique, aortique (plaie, ligature urétérale, lésions des méats urétéraux) |
Caillots |
Fibroses rétropéritonéales: idiopathiques, médicamenteuses, post-radiothérapie, postinfectieuses (Crohn, sigmoïdite, rectocolite), anévrisme aortique, angéites aiguës, malignes |
Endométriose |
Bilharziose urinaire |
Nécrose papillaire |
Sténoses urétérales primitives |
Trucs et astuces
Une origine fonctionelle est retrouvée dans environ 40 à 50% des cas d’IRA. Le mécanisme de l’insuffisance rénale est une chute de la pression de filtration dans le glomérule du fait d’anomalies hémodynamiques systémiques et d’une vasconstriction rénale. Au cours de l’IRA fonctionnelle, il n’y a pas d’atteinte structurelle du rein. Les situations cliniques associées à l’IRA fonctionnelle sont principalement l’hypovolémie, l’insuffisance cardiaque en bas débit, les états de choc. De plus, l’âge élevé et les médicaments modifiant l’hémodynamique rénale augmentent le risque d’IRA fonctionnelle car ils empêchent les mécanismes de régulation du rein contre ces anomalies hémodynamiques systémiques : anti inflammatoire non stéroidien (AINS), inhibiteur des récepteurs de l’angiotensine II (ARAII), inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC). Les situations à risque d’IRA fonctionnelle s’associent toutes à une activation du système rénine angiotensine aldostérone et de la sécrétion d’ADH. Aussi, les effets rénaux de l’aldostérone et de l’ADH sont observés : rétention sodée et excrétion potassique (aldostérone), réabsorption d’eau et donc concentration des urines (ADH). Cf. figure Online.
La démarche diagnostique découle de ces éléments physiopathologiques. Elle doit être rigoureuse et dans le bon ordre:
Le traitement repose sur l’arrêt des médicaments impliqués et la correction des anomalies hémodynamiques :
Trucs et astuces
Les atteintes parenchymateuses, ou lésionnelles, ou organiques, concernent également 40-45% des patients. La très grande majorité des formes parenchymateuses (90%) sont le fait d’agressions rénales d’origine systémiques (cf. infra), plus rarement (10%) une atteinte spécifique rénale est observée. Dans la démarche diagnostique, il convient tout d’abord de rechercher soigneusement tous les facteurs systémiques d’agression rénale. En l’absence de ceux-ci, ou lorsque l’intensité des facteurs d’agression est discordante avec le niveau ou la cinétique de l’atteinte rénale, une atteinte rénale spécifique devra être recherchée.
Cette entité est fréquemment appelée « nécrose tubulaire aigüe » car c’est une des lésions histologiques observées dans ce type d’atteinte. Ces agressions rénales d’origine systémique sont très fréquentes : ischémiques, toxiques ou inflammatoires. Toutes les IRA fonctionnelles précedemment décrites peuvent évoluer vers une atteinte lésionnelle de ce type lorsque l’IRA fonctionnelle est sévère ou prolongée. L’intensité de l’atteinte rénale est très variable, d’une augmentation modérée pendant quelques jours de la créatininémie, jusqu’à l’anurie prolongée. L’analyse du dossier permettra de dépister ces facteurs d’agressions, fréquemment multiples :
Lorsque le degré et la cinétique de l’atteinte rénale sont compatibles avec l’intensité des agressions, il n’est pas requis d’examen complémentaire de confirmation. Le seul traitement est de corriger tous les facteurs d’agression et d’optimiser l’état hémodynamique… quand cela est possible. Ainsi, la balance bénéfice risque de chaque intervention à risque rénal (produit de contraste iodé, aminoside…) doit être soigneusement pesée : risque d’aggravation rénale vs. risque de manquer un diagnostic. La durée d’évolution des atteintes rénales par agression systémique est très variable en fonction de la persistence des facteurs d’agression. L’absence d’amélioration rénale après 3 à 4 semaines sans facteurs d’agression doit faire reconsidérer le diagnostic (cf. atteintes rénales spécifiques)
Trucs et astuces
Lorsque le diagnostic d’agression rénale d’origine systémique n’est pas retenu, il convient d’envisager une atteinte rénale spécifique. En néphrologie « classique », c’est à dire hors agression systémique aigüe, il est usuel de différencier les atteintes rénales selon la structure atteinte (glomérule, tubule, vaisseaux). Les éléments de sémiologie rénale (pression artérielle, protéinurie, leucocyturie hématurie) permettent une première approche diagnostique:
Parallèlement une analyse anamestique et clinique extra rénale doit être conduite pour rechercher une maladie « systémique »:
La combinaison de l’hypothèse sur le compartiment atteint et l’analyse du contexte général permet de centrer les propositions diagnostiques. Attention, ces éléments d’orientation, rénaux et extra rénaux, restent toutefois très indicatifs et ne permettent qu’un débrouillage. Seuls les examens paracliniques permettront d’affirmer avec certitude le diagnostic. La procédure diagnostique doit être rapide, le risque d’insuffisance rénale définitive est important alors qu’il peut être souvent évité avec un traitement adéquat rapidement instauré. Ces examens sont en premier lieu non invasifs, certains résultats permettant un degré de certitude diagnostique suffisant. En cas d’incertitude, la ponction biopsie rénale (PBR) doit être discutée dans les quelques jours du diagnostic d’IRA. Devant toute suspicion d’insuffisance rénale par atteinte spécifique, un avis néphrologique spécialisé est urgent pour discuter de l’opportunité de la biopsie rénale.
Ces atteintes spécifiques correspondent à 3 items de l’ECN : 258, 259,260. Les paragraphes ci dessous sont des résumés des points essentiels concernant l’IRA.
Truc et astuce
Les atteintes glomérulaires aigües avec IRA définissent le syndrome de glomérulonéphrite rapidement progressive (GNRP). Ce syndrome associe biologiquement : IRA, protéinurie > 1 g/j mais parfois > 3g/j d’ordre néphrotique, hématurie, l’HTA est parfois présente. L’atteinte histologique est une prolifération des cellules glomérulaires extracapillaires. Ces cellules remplissant la chambre urinaire selon une forme de croissant, d’où le nom parfois cité de glomérulonéphite à croissant ou extracapillaires. Les causes de ce syndrome sont :
⇒ La présence d’ANCA* spécifiques (anti-PR3 ou -MPO) dans le sang avec contexte clinique évocateur permet le diagnostic de ces deux pathologies. Le diagnostic de certitude est toutefois histologique. Le traitement repose sur l’association d’immunosuppresseur : Corticoïde + Cyclophosphamide +/- Echanges plasmatiques. o polyangéite granulomateuse à éosinophiles (ex maladie de Churg et Strauss) : atteinte pulmonaire principale avec athme corticodépendant et hyperéosinophilie. Cette atteinte est citée ici par principe mais ne donne pas fréquemment d’atteinte rénale.
Trucs et astuces
L’existence d’une leucocyturie oriente vers une néphropathie tubulo-interstitielle aiguë (NTIA) à l’origine de l’IRA. Néanmoins la leucocyturie est inconstante. Les causes principales sont :
Trucs et astuces
Toutes les néphropathies vasculaires aiguës ont comme point commun l’apparition ou la majoration d’une HTA qui s’associe frequemment à une protéinurie et à une hématurie. Cette HTA peut, lorsqu’elle est très sévère et prendre les critères de l’HTA maligne. On regroupe sous le terme de néphropathies vasculaires aigues deux types d’atteintes :
Le traitement étiologique des IRA a été précisé dans les sections correspondantes. Il existe de plus des éléments de prise en charge symptomatique communs.
Les apports en eau, Na Cl, K, calcium, magnésium… se règlent en fonction d’une éventuelle surcharge ou déplétion, et de la diurèse. Une hyperkaliémie peu sévère peut être traitée par régime sans potassium et une résine échangeuse d’ion (kayexalate).
Un point absolument majeur est d’adapter la posologie des médicaments administrés à la fonction rénale. Une vérification soigneuse de tous les médicaments évite les erreurs dramatiques (par exemple poursuite de médicaments à élimination rénale et haut potentiel toxique : vérapamil, colchicine…)
Il est impératif de corriger tous les facteurs pouvant aggraver l’IRA :
L’indication de l’épuration extra rénale est urgente et indiscutable dans les situations suivantes :
En dehors de ces situations d’urgence, il n’esxite pas d’étude permettant d’établir de critère de début de l’épuration extra rénale. Un seuil d’urée de 30 à 40 mmol/L d’urée est souvent retenu.
Les diurétiques ne sont pas un traitement de l’insuffisance rénale. Le concept de « relance de la diurèse » est une erreur : les diurétiques permettent parfois d’augmenter le volume de la diurèse, mais n’influent pas sur l’évolution de l’IRA, ni sur la nécessité de dialyse. L’utilisation des diurétiques dans l’insuffisance rénale aiguë se limite au traitement d’une surcharge hydrosodée : il faut alors utiliser les diurétiques de l’anse (furosémide), à dose d’autant plus élevée qu’il existe une baisse importante du DFG.