Les conduites suicidaires comprennent :
Le suicide est l'acte délibéré d'en finir avec sa propre vie, entraînant le décès de l'individu. Pour Durkheim, il s'agit de « la fin de la vie, résultant directement ou indirectement d'un acte positif ou négatif de la victime elle-même, qui sait qu'elle va se tuer ».
Le suicidé est l'individu qui s'est donné la mort volontairement.
La tentative de suicide correspond à tout acte délibéré, visant à accomplir un geste de violence sur sa propre personne (phlébotomie, précipitation, pendaison, arme à feu, intoxication au gaz …) ou à ingérer une substance toxique ou des médicaments à une dose supérieure à la dose reconnue comme thérapeutique. Cet acte doit être inhabituel : les conduites addictives (alcool, drogues…) sont donc exclues ainsi que les automutilations répétées et les refus de s'alimenter.
Le suicidant est l'individu survivant à sa tentative de suicide.
Les idées suicidaires correspondent à la pensée de se donner la mort, à l'élaboration consciente d'un désir de mort qu'il soit actif ou passif. Quand ces idées sont exprimées, on parle de menaces suicidaires.
Le suicidaire est l'individu ayant des idées suicidaires et/ou exprimant verbalement ou comportementalement des menaces suicidaires.
Les équivalents suicidaires sont des conduites à risque mettant en jeu la vie du sujet sans qu'il en ait réellement conscience. Cependant, il ne faut pas forcément, comme pour certains gestes autoagressifs (scarifications) les considérer comme des tentatives de suicide.
La crise suicidaire est une crise psychique dans un contexte de vulnérabilité avec l'expression d'idées et d'intentions suicidaires.
Le risque majeur est la tentative de suicide et son aboutissement (le décès par suicide). Il s'agit d'un moment donné (avec un début et une fin), dans la vie d'un individu, où ses ressources adaptatives sont épuisées : l'individu dont les mécanisme d'ajustement (cf. Item 01) sont dépassées se sent dans une impasse et les idées suicidaires vont en s'augmentant, avec l'échec des différentes alternatives envisagées. Le suicide va progressivement apparaître à l'individu comme l'unique solution permettant de sortir de l'état de crise dans lequel il se trouve. Cette crise est réversible et temporaire et le suicide est une des sorties possibles de cette crise qui en fait toute sa gravité. La figure suivante illustre ce concept :
Présentation schématique de la crise suicidaire : les idées de suicide se font de plus en plus présentes au fur et à mesure de l'évolution de la crise suicidaire.
Cliniquement, la crise suicidaire peut se manifester initialement par :
Puis cette crise peut se manifester par certaines idées et comportements préoccupants :
Au cours de l'évolution, une accalmie qui peut faire craindre un syndrome de Ringel évoqué plus loin et un comportement de départ sont des signes de très haut risque.
L'épidémiologie du suicide n'est pas toujours simple à faire et repose sur l'analyse de différentes données :
Concernant les idéations suicidaires :
Concernant les tentatives de suicide (TS) :
Concernant les suicides :
Le repérage de la crise suicidaire s'articule autour de trois axes :
Les enfants expriment rarement des idées et des intentions suicidaires.
Certains éléments peuvent témoigner d'une crise psychique comme des plaintes somatiques mal étiquetées, un repli, un isolement, des troubles de la communication, des troubles des apprentissages, une hyperactivité, une encoprésie, des blessures à répétition, des préoccupations exagérées pour la mort, une tendance à être le souffre-douleur des autres.
Les éléments suivants sont des facteurs de vulnérabilité : un isolement affectif, des bouleversements familiaux, l'entrée au collège, un contexte de maltraitance.
L'expression d'idées et d'intentions suicidaires n'est plus considérée comme banale et est un motif suffisant d'intervention et de prévention.
Certains éléments peuvent témoigner d'une crise psychique comme une baisse des résultats scolaires, une hyperactivité, une attirance pour la marginalité, des conduites excessives ou déviantes, des conduites ordaliques (le sujet remet sa survie dans les mains du « hasard »), des conduites d'anorexie et de boulimie, des prises de risque inconsidérées (notamment au niveau sexuel), une violence sur soi et sur autrui, des fugues.
Si l'adolescence est en soi une période de vulnérabilité, les éléments suivants le sont aussi : l'isolement affectif, les ruptures sentimentales, les échecs (notamment scolaires), les conflits d'autorité.
L'expression d'idées suicidaires est peu fréquente en dehors de la relation avec le médecin ou de façon très manifeste dans la famille.
Certains éléments peuvent témoigner d'une crise psychique comme l'ennui, les sentiments de perte de rôle, d'échec, d'injustice, d'être en décalage, la perte d'investissement au travail, les difficultés relationnelles, les difficultés conjugales, l'incapacité à supporter une hiérarchie, les arrêts de travail à répétition, au contraire le surinvestissement au travail, des consultations répétées chez le médecin pour des symptômes aspécifiques (douleurs, sensation de fatigue…).
Les éléments suivants sont des facteurs de vulnérabilité : des statuts conjugal, social et professionnel précaires, une ambiance délétère au travail avec ou sans harcèlement, une toxicomanie, le sida, des situations de violence, une atteinte narcissique, l'émigration.
Les âgés n'expriment que rarement des idées suicidaires ou ont plus rarement que d'autres l'occasion de les exprimer ; mais ils passent à l'acte. Lorsqu'ils en expriment, elles ne doivent pas être banalisées.
Certains éléments peuvent témoigner de la crise psychique comme un repli sur soi, un refus de s'alimenter, un manque de communication, une perte d'intérêt pour les activités, un refus de soin.
Les éléments suivants sont des facteurs de vulnérabilité : un état dépressif caractérisée, une affection médicale générale potentiellement à l'origine de handicaps et de douleurs, des conflits, un changement d'environnement, le veuvage.
Les patients peuvent facilement exprimer des idées suicidaires ou, au contraire, les dissimuler.
La crise suicidaire est faite de moments à haut risque avec des moments d'accalmie alternants sur un fond de variabilité permanente. Certains signes parmi les signes de la maladie peuvent marquer une augmentation du risque :
La maladie est en soi un facteur de vulnérabilité.
Il faut donc être attentif à repérer ces différents signes (assez aspécifiques pris isolément) puisque leur association témoigne d'une crise suicidaire. En tout cas, il ne faut pas hésiter à questionner le patient sur ses idées de suicide. Cette attitude, loin de renforcer le risque suicidaire, ne peut que favoriser l'expression des troubles.
Les éléments suivants et leur intrication entre eux permettent l'évaluation du risque :
Individuels/personnels :
Familiaux :
Événements de vie :
Les facteurs de protection sont aussi à envisager comme autant d'élément préservant du passage à l'acte. On peut citer :
Un niveau de souffrance du sujet élevé (désarroi, repli sur soi, isolement relationnel, sentiment de dévalorisation ou d'impuissance ou de culpabilité).
Un degré d'intentionnalité élevé :
Des éléments d'impulsivité : tension psychique, instabilité comportementale, agitation, attaque de panique, antécédents de passages à l'acte, de fugue ou d'actes violents.
Un éventuel facteur déclenchant contextuel.
Un manque de soutien familial.
La dangerosité létale du moyen considéré.
L'accessibilité au moyen considéré.
Le tableau suivant issu de la conférence de consensus reprend les différents éléments de l'évaluation de l'urgence et de la dangerosité en vous donnant une idée sur le degré d'urgence :
Urgence faible | Urgence moyenne | Urgence élevée |
Bonne alliance thérapeutique | Est isolé | Est très isolé |
Veut parler et est à la recherche de communication | A besoin d'aide et exprime directement ou indirectement son désarroi | Complètement ralenti par la dépression ou au contraire dans un état d'agitation, Avec une souffrance et une douleur omniprésente ou complètement tue |
Cherche des solutions à ses problèmes | Ne voit pas d'autre recours que le suicide | A le sentiment d'avoir tout fait et tout essayé |
Pense au suicide sans scénario suicidaire précis | Envisage un scénario dont l'exécution est reportée | A un accès direct et immédiat à un moyen de se suicider |
Envisage encore d'autres moyens pour surmonter la crise | Envisage le suicide avec une intention claire | Décidé, avec un passage à l'acte planifié et prévu dans les jours qui viennent |
N'est pas anormalement troublé mais psychologiquement souffrant | Présente un équilibre émotionnel fragile | Coupé de ses émotions, rationalisant sa décision ou au contraire, très émotif, agité ou anxieux |
Attention, malgré ces techniques d'évaluation clinique du risque suicidaire, le passage à l'acte reste un geste difficilement prévisible.
Attention, il faut être attentif à l'éventualité d'un syndrome présuicidaire de Ringel caractérisé par un calme apparent, une attitude de retrait, une diminution de la réactivité émotionnelle, de la réactivité affective, de l'agressivité et des échanges interpersonnels. Ces signes ne sont pas rassurants et cachent un envahissement fantasmatique par des idéations suicidaires.
Prévention primaire | Prévention secondaire | Prévention tertiaire | |
Application à la suicidologie | Elle concerne les sujets qui ne sont pas en crise suicidaire mais qui présentent des facteurs de risques. La suppression des facteurs de risque et des facteurs de décompensation auprès des populations à risque a prouvé son efficacité. Il s'agit par exemple du traitement d'un état dépressif. Il s'agit aussi de prévenir le passage à l'acte suicidaire chez les patients hospitalisés en psychiatrie et donc à haut risque. | Dépistage précoce de la crise suicidaire pour arrêter le processus suicidaire avant un passage à l'acte. Ce dépistage passe par le généraliste mais aussi le spécialiste et comprend l'évaluation précédemment décrite auprès du patient et de son entourage (Risque, Urgence, Dangerosité). Lorsqu'un risque suicidaire important est détecté, une hospitalisation, éventuellement en SDT doit être proposée. | La prise en charge des suicidants est détaillée plus bas. |
Les réseaux d'accueil et d'écoute, par exemple par téléphone sont un moyen privilégié de prévention et peuvent intervenir à tout niveau. La prévention passe aussi par la médecine scolaire et la médecine du travail. |
L'entretien doit se faire dans un endroit calme, en toute confidentialité et en face à face. Il a pour premier but de travailler l'alliance thérapeutique. Il ne faut pas hésiter à laisser le patient exprimer ses émotions.
Les idées suicidaires doivent être abordées par exemple avec des questions comme « avez-vous des idées de suicides ? » ou « avez-vous envie de mourir ? ».
Une souffrance tolérable doit être écoutée, si celle-ci est intolérable (agitation, perplexité anxieuse), il faut la soulager par des médicaments appropriés.
Il ne faut pas banaliser des conduites suicidaires qui sont une urgence psychiatrique, c'est-à-dire une urgence du moment où l'expression est possible.
A l'inverse, il ne faut pas dramatiser la situation et les patients doivent se sentir libre d'exprimer leur vécu et leurs idées. Il peut être utile de recevoir la famille pour expliquer la situation.
L'examen médical du patient est indispensable et permet d'apaiser le patient et d'entrer en relation.
On peut repérer des soutiens possibles dans l'entourage, déjà au courant ou non et proposer au patient de les appeler et de les informer pour qu'ils puissent le soutenir. La recherche de soutien sera faite en cas de prise en charge ambulatoire comme en cas d'hospitalisation (HDT).
La participation du patient aux soins doit être évaluée.
Il faut faire la distinction entre :
Les urgences accueillent fréquemment des sujets en situation de crise suicidaire, soit lors d'une tentative de suicide ou lors d'une intoxication alcoolique ou lors d'une attaque de panique etc.
L'accueil doit se faire au calme dans un box en essayant de garder autour du patient les mêmes interlocuteurs et doit contribuer à sécuriser le patient.
Après stabilisation du patient (moyens de réanimation adaptés), un avis psychiatrique et/ou une hospitalisation brève en unité de crise sont recommandés.
L'urgentiste doit décider d'une hospitalisation :
Le but de l'entretien psychiatrique est de réaliser l'évaluation de la psychopathologie, de la crise suicidaire mais aussi la décision de la prise en charge :
Un traitement médicamenteux sera parfois à prescrire en urgence comme des sédatifs ou des anxiolytiques en cas d'agitation ou d'anxiété importante. Leur prescription symptomatique devra être bornée dans le temps.
L'hospitalisation s'impose en cas de niveau d'urgence élevée.
Dans les autres situations, elle sera à adapter à la situation du patient par exemple en cas de pathologie psychiatrique sous jacente, d'isolement social, d'entourage potentiellement délétère, de refus d'aide médicale (refus d'un entretien de réévaluation). L'hospitalisation peut être faite sous le mode de l'hospitalisation libre ou de soins à la demande d'un tiers.
L'hospitalisation a les objectifs suivants :
L'hospitalisation n'empêche pas un patient de se suicider et de nombreux suicides (5%) ont lieu en établissement de soins. Il faut prendre certaines précautions visant à limiter l'accès à des moyens létaux (suppression des points d'appui résistant au poids du corps, inventaire des affaires et retrait des objets dangereux) et à assurer une surveillance rapprochée (chambre près de l'infirmerie).
Il faut bien expliquer, que ce soit en hospitalisation libre ou à la demande d'un tiers, les raisons de l'hospitalisation, les conditions d'accueil (lieu, durée d'hospitalisation, fonctionnement de l'équipe).
De la même manière, que se soit en hospitalisation ou en ambulatoire, il faudra traiter un trouble psychiatrique comme par exemple un épisode dépressif caractérisé.
Le lithium a une indication dans le trouble bipolaire et est un des seuls psychotropes reconnu comme ayant une action “anti-suicide”.
En cas de prise en charge ambulatoire :
La continuité des soins doit être envisagé et organisée dès le début de la prise en charge de crise. Les modalités proposées seront adaptées au stade évolutif de la crise, au moment de la prise en charge, au contexte dans lequel elle s'inscrit et aux professionnels ou intervenants sollicités.
La prise en charge doit tenir compte du contexte familial et des entretiens familiaux peuvent être proposés.
En présence d'un cumul de plusieurs facteurs de risque, il faut orienter le patient vers un suivi psychiatrique en hospitalisation ou en ambulatoire.
Une psychothérapie peut être indiquée pour traiter les facteurs psychopathologiques de vulnérabilité ou en diminuer les effets critiques.
En l'absence de facteurs de risque, il faut organiser une réévaluation après la crise.
L'assistant(e) social(e) joue aussi un rôle important en cas de crise psychosociale.
Durant l'année qui suit le début de la crise, le risque de récidive important fait recommander la plus grande vigilance.
Il faut y penser et en discuter avec le patient et son entourage.
En plus des éléments précédemment décrits, il existe certaines particularités liées au terrain, à prendre en compte.
Lorsqu'une crise suicidaire est dépistée chez un enfant, par exemple par un enseignant les éléments suivants guident la conduite à tenir :
En cas de crise suicidaire avérée, une hospitalisation est nécessaire pendant quelques jours pour débuter une prise en charge médico-pédopsychiatrique adaptée.
Lorsqu'une crise suicidaire est dépistée chez un adolescent, par exemple par un enseignant les éléments suivants guident la conduite à tenir :
En cas de crise suicidaire avérée et en particulier en cas de tentative de suicide, la prise en charge hospitalière est favorisée. Le suivi ambulatoire sera à mettre en place dès la sortie. En cas de non venue aux rendez-vous de suivi, on peut mettre en place des visites à domicile quand cela est organisable ou reprendre une hospitalisation si le risque persiste. Il faut s'avoir là aussi s'appuyer sur des intervenants extérieurs (éducateurs, paramédicaux etc.).
Lorsqu'une crise suicidaire est dépistée chez un adulte, par exemple par l'entourage proche, les éléments suivants guident la conduite à tenir :
En cas de crise suicidaire avérée, la prise en charge est celle expliquée ci-dessus.
Lorsqu'une crise suicidaire est dépistée chez un âgé, par exemple par le généraliste, les éléments suivants guident la conduite à tenir :
En cas de crise suicidaire avérée la prise en charge doit particulièrement veiller à rechercher des moyens de mort violente et les enlever du domicile.
Lorsqu'une crise suicidaire est dépistée chez un patient déjà suivi en psychiatrie, les éléments suivants guident la conduite à tenir :
En cas de crise suicidaire avérée la prise en charge s'appuie généralement sur l'hospitalisation.
L'entretien psychiatrique a pour but l'évaluation du risque (recherche de facteurs de risque et de facteurs de protection), de l'urgence (niveau de souffrance élevé et degré d'intentionnalité élevé) et de la dangerosité (létalité du moyen considéré et facilité d'accès à ce moyen).
L'hospitalisation (libre ou sous contrainte) s'impose en cas de niveau d'urgence élevée. Dans les autres cas, la décision d'hospitaliser sera à adapter à la situation. Il faut en tout cas penser à la mise à distance des moyens létaux. En cas de soins ambulatoires, l'entourage doit idéalement être proche et disponible. On prévoira une réévaluation rapide.