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Item 265. Troubles de l'équilibre acido-basique et désordres hydro-électrolytiques
· Prescrire et interpréter un examen des gaz du sang et un ionogramme sanguin en fonction d'une situation clinique donnée.
· Savoir diagnostiquer et traiter : une acidose métabolique, une acidose ventilatoire, une hypokaliémie, une hyperkaliémie, une hyponatrémie, une hypernatrémie, une hypocalcémie.
Le potassium (K+) est le principal cation intracellulaire. Le pool potassique est situé à 95% dans le compartiment cellulaire (principalement dans les cellules musculaires) et 2 % dans le compartiment extracellulaire. Dans les cellules, la concentration en K+ est élevée, de l'ordre de 120 à 150 mmol/l, grâce à l'activité de la Na-K ATPase membranaire. Dans le milieu extracellulaire, la kaliémie est maintenue basse entre 3,5 et 5 mmol/l correspondant à la valeur normale de la kaliémie. Le rein est l'organe unique de contrôle de l'homéostasie du K+ de l'organisme en augmentant ou en diminuant son excrétion urinaire. L'importance clinique des anomalies de la kaliémie vient du fait que ces dernières exposent aux troubles du rythme cardiaque. Cependant, le danger potentiel de l'hypokaliémie dépend du contexte clinique, elle est plus à risque en cas de cardiopathie sous-jacente, d'insuffisance coronarienne, d'une hypocalcémie, d'un traitement par la digitaline.
Kaliémie inférieure à 3,5mmol/L.
Les signes cliniques sont essentiellement neuromusculaires et liés à l'hyperpolarisation membranaire, mais peuvent totalement manquer. Il peut s'agir de paralysie des muscles lisses (iléus, dilatation gastrique, rétention d'urines), de rhabdomyolyse, des crampes, des myalgies. Les troubles neuromusculaires sont rares et se composent d'une paralysie de type périphérique, purement motrice, ascendante, prédominant aux racines, avec abolition des réflexes ostéotendineux. L'abolition de la réponse idiomusculaire est un signe caractéristique. La récupération se fait sans séquelle, sous recharge potassique.
L'hypokaliémie provoque des troubles de la repolarisation par simple modification du potentiel de membrane, une augmentation de l'automaticité cardiaque et à un retard de repolarisation ventriculaire conduisant à une prolongation de la période réfractaire. Ils sont diffus sur l'ensemble des dérivations.
Les signes électrocardiographiques comportent successivement selon le degré de l'hypokaliémie (Figure 1):
Figure 1 : Anomalies possible de l'ECG en fonction des valeurs de l'hypokaliémie (source : revue medicale suisse)
La diminution de l'amplitude de l'onde T, alors que celle de l'onde U augmente, explique que l'onde U puisse être prise pour une onde T. L'ensemble de ces troubles est très évocateur quand il survient chez un sujet sain, il est beaucoup plus difficile à analyser sur un cœur pathologique.
La survenue d'arythmie est favorisée par: une cardiopathie ischémique sous-jacente, une hypertrophie ventriculaire gauche, une hypercalcémie, une hypomagnésémie, les traitements par digitalique ou anti-arythmiques.
Ce sont les troubles du rythme cardiaque qui font toute la gravité des hypokaliémies. Il peut s'agir de troubles supraventriculaires (extrasystoles auriculaires, fibrillation auriculaire), mais surtout du trouble du rythme ventriculaire engageant le pronostic vital: extrasystoles ventriculaires polymorphes, multifocales, voire tachycardie ventriculaire et fibrillation ventriculaire. La torsade de pointe est caractéristique de l'hypokaliémie. Elle peut aboutir à une tachycardie ventriculaire ou à une fibrillation et nécessite une correction rapide de l'hypokaliémie.
Une hypokaliémie peut être liée soit à un excès de pertes en potassium rénale ou digestive soit un transfert exagéré du compartiment extracellulaire vers le compartiment intracellulaire, soit une carence d'apport.
L'hypokaliémie par déperdition ou excès de pertes est l'étiologie la plus fréquente (tableau 16.1). La déplétion peut être d'origine digestive ou rénale. La kaliurèse est augmentée en cas de perte rénale (kaliurèse >20 mmol/L). Le contexte clinique permet habituellement de faire le diagnostic. L'hypokaliémie par perte digestive est souvent aggravée par une alcalose métabolique associée qui majore le passage intracellulaire du potassium.
Tableau 1 Étiologies des hypokaliémies
Pertes digestives (Ku < 20mmol/L) | Pertes rénales (Ku > 20 mmol/20L) |
- Diarrhées aigues et chroniques (toxi-infectieuse, tumeur pancréatique, tumeur villeuse, maladie des laxatifs) - Fistules digestives | - Vomissements et aspiration gastrique (déperdition en ions H+, Cl, hypovolémie) - Hyperglucocorticismes, hypermineralocortisismes primitifs ou secondaires - Polyurie (diurèse osmotique, reprise de diurèse chez un anurique, hypercalcémie) - Pathologie rénale avec perte de sel (syndrome de Bartter, acidose tubulaire, anastomose urétérocolique) - Métabolique (alcalose, hypomagnésémie) - Traitements diurétiques (thiazides, diuretiques de l'anse) |
Ku : kaliurèse.
Les hypokaliémies par transfert sont dues à un transfert excessif du compartiment extracellulaire vers le compartiment intracellulaire. Les principales causes sont :
Exceptionnellement responsable à elle seule d'une hypokaliémie, elle en facilite la survenue en cas de perte potassique supplémentaire. Elle peut survenir au cours de l'anorexie mentale où l'hypokaliémie doit alors faire rechercher également des vomissements, la prise de laxatifs ou de diurétiques ; de la nutrition artificielle exclusive si un apport de 3g par jour de potassium n'est pas maintenu
Le traitement de l'hypokaliémie est avant tout étiologique.
La prise en charge symptomatique impose d'apprécier en premier lieu le retentissement de l'hypokaliémie en particulier sur le myocarde (ECG). Il repose sur l'apport de potassium. Il est impossible de prédire a priori la quantité de potassium à administrer, car les variations de la kaliémie sont à court terme indépendantes de celles du stock potassique.
Une hypokaliémie modérée (inférieure à 3 mmol/L), sans altération de l'électrocardiogramme, peut être traitée en augmentant les apports per os.
C'est habituellement le KCl qui est choisi (surtout en cas d'alcalose hypochlorémique), qui apporte 13 mmol de potassium par gramme de chlorure de potassium (KCl). Habituellement, 4 à 8 g/j de KCl sont prescrits (par prise n'excédant pas 2 g), en surveillant l'évolution de la kaliémie. Il faut se souvenir que le danger de l'hyperkaliémie est plus grand que celui de l'hypokaliémie. Les sels de potassium doivent être utilisés avec une surveillance particulière en cas d'insuffisance rénale associée.
Si l'hypokaliémie est sévère (moins de 2,5 mmol/L) ou s'associe à des troubles de l'électrocardiogramme, le transfert en soins intensifs s'impose, l'objectif est de rétablir rapidement une kaliémie supérieure à 3 mmol/L et la voie intraveineuse est alors recommandée. Plusieurs précautions doivent être prises :
Le débit horaire ne doit pas dépasser 1 g de potassium;
Lorsque le KCl est administré sur une voie veineuse périphérique, il doit être impérativement dilué : la concentration ne peut pas dépasser 4 g de KCl par litre de soluté (NaCl 0,9% ou Glucosé 5%)
Kaliémie supérieure à 5,0 mmol/L
Dans certaines situations, l'hyperkaliémie est due à une erreur de prélèvement (garrot prolongé, hémolyse, élévation des plaquettes > 700 000/mL). Cependant, l'hyperkaliémie ne doit pas a priori être considérée comme une erreur compte tenu de ses dangers potentiels majeurs. Il est donc recommandé de réaliser un ECG à la recherche de signes spécifiques d'hyperkaliémie sans attendre les résultats du prélèvement de contrôle.
Les symptômes neuromusculaires, non spécifiques, comportent des paresthésies des extrémités et de la région péribuccale. Plus tardivement peuvent apparaître une faiblesse musculaire voire une paralysie débutant aux membres inférieurs et d'évolution ascendante. La paralysie hyperkaliémique est rare.
L'ECG est le paramètre clé du diagnostic et de la surveillance. Les symptômes cardiaques se manifestent par des modifications électro-cardiographiques diffuses d'apparition progressive que sont successivement :
Figure 2 : Anomalies possible de l'ECG en fonction des valeurs de l'hyperkaliémie (source : revue médicale suisse)
L'hyperkaliémie, quels qu'en soient le terrain et l'intensité, peut rapidement engager le pronostic vital. C'est le plus grave de tous les troubles métaboliques, qui impose l'hospitalisation en soins intensifs et une thérapeutique immédiate.
Il existe 2 mécanismes :
- Transfert de potassium du milieu intra- vers le milieu extracellulaire, lors des acidoses métaboliques ou respiratoires, du syndrome de lyse cellulaire (rhabdomyolyse, lyse tumorale, ischémie tissulaire) et de l'hypothermie.
- Diminution de l'excrétion urinaire de potassium (mécanisme le plus fréquent) lors de l'insuffisance rénale aiguë oligoanurique, de l'insuffisance rénale chronique en cas d'erreur de régime ou de traitement, de l'insuffisance surrénale, syndrome d'hyporéninisme-hypoaldostéronisme, médicamenteux (antagonisme compétitif de l'aldostérone, diurétique épargneur de potassium), association d'une insuffisance rénale avec certains médicaments (AINS, IEC, ciclosporine).
Les hyperkaliémies modérées ou sans risque électrique menaçant, relèvent de deux thérapeutiques :
• la chélation du K+ dans le tube digestif par une résine échangeuse d'ions (ex : Kayexalate®) :
-1 g peut échanger 1 mEq de K+ contre 1 mEq d'ion;
- son site d'action est essentiellement le côlon ;
- son action est lente, mais plus rapide par lavement ; elle est par ailleurs prolongée ;
- 20 à 30 g per os toutes les 6 heures, précédés de 60 g en lavement, en contrôlant la kaliémie toutes les 3 à 6 heures ;
• les diurétiques de l'anse (ex : furosémide), à forte dose (80 à 120 mg en IV), éventuellement répétés, en particulier chez l'insuffisant rénal chronique, augmentent l'excrétion urinaire de potassium. Une surveillance de diurèse horaire est indispensable afin de diagnostiquer une polyurie massive qui entraine des troubles hydro-électrolytiques (ex : hypomagnésémie, hypo ou hypernatrémie,…) mais aussi un échec qui nécessitera un changement rapide de stratégie thérapeutique.
Les hyperkaliémies sévères ou menaçantes sur le plan électrique justifient un transfert en réanimation. Cependant le traitement hypokaliémiant sera débuté le plus précocement possible. Il comprend :
• l'alcalinisation, moyen le plus rapide de lutter contre une hyperkaliémie menaçante. Ce traitement est impératif s'il existe une acidose métabolique associée. La solution de bicarbonate de sodium molaire (84 ‰) est souvent utilisée (50 à 100 mL IV). L'injection permet souvent d'améliorer l'électrocardiogramme, mais son effet est transitoire et sera relayé par diurétique et/ou résine échangeuse d'ions;
• l'association glucose-insuline a pour objectif de favoriser le passage du potassium vers le milieu intracellulaire. Elle peut être associée à l'alcalinisation au moyen d'une perfusion en une heure de 500 mL de glucosé à 30 % contenant 10 à 20 unités d'insuline ordinaire ;
• les agonistes B2-adrénergiques (salbutamol, albutérol). Les sympathomimétiques font pénétrer le potassium dans la cellule en moins de 30 minutes. L'effet hypokaliémant dure de 2 à 3 heures. Certains préconisent ce traitement de préférence à l'insuline-glucose qui risque de provoquer une hypoglycémie. En revanche, les sympathomimétiques entraînent une tachycardie généralement bien supportée. Ces traitements peuvent s'administrer par voie intraveineuse (maximum 0,3-0,5 mg en 15-30 minutes répétés toutes les 2 à 3 heures selon la kaliémie) ou en aérosols (2,5 à 5 mg dans 3 mL de NaCl0,9% répétés toutes les 30 min selon la kaliémie).
• les moyens d'épuration extrarénale sont les seuls réellement et toujours efficaces, surtout dans une situation où l'on constate une diminution de l'excrétion urinaire de potassium. En pratique tout patient hyperkaliémique et qui n'urine pas devra avoir une séance d'épuration extra rénale, éventuellement en urgence en cas d'hyperkaliémie menaçante avec signes ECG. D'où l'importance de d'évaluer rapidement et précisément la diurèse en cas d'hyperkaliémie !
Les sels de calcium ne sont pas des traitements hypokaliémiants. Ils ont comme propriété d'antagoniser les effets électriques cardiaques de l'hyperkaliémie en restaurant le potentiel de repos membranaire et en diminuant l'excitabilité. Par conséquent, ils sont utilisés en cas de troubles de la conduction induits par l'hyperkaliémie. Le gluconate ou le chlorure de calcium peuvent être utilisés, à la posologie de 1 à 4 g IV.
Bibliographie :
Bertrand Dussol. Equilibre potassique, hypokaliémie et hyperkaliémie. Néphrologie & Thérapeutique : 6 (2010) 180-199.
Houiller P, Paillard M. Régulation du métabolisme du potassium. Désordres acido-basiques et hydro-électrolytiques. Paris : Arnette ; 1997. p. 221-51.
Points clés
• L'hypokaliémie (K < 3,5 mmol/L) est avant tout caractérisée par des modifications à l'ECG : segment ST sous-dénivelé, onde T diminuée ou négative, onde U augmentée. Le risque est la survenue de troubles du rythme cardiaque (torsades de pointes notamment). Les sujets atteints de cardiopathie préexistante représentent une population à risque.
• Les causes les plus fréquentes d'hypokaliémie sont les pertes en potassium par voie digestive ou rénale. L'hypokaliémie peut être aggravée par une alcalose associée.
• Le traitement de l'hypokaliémie comporte l'administration de potassium. Un apport de potassium doit être étroitement surveillé notamment en cas d'insuffisance rénale associée et en cas d'administration par voie intraveineuse (risque d'hyperkaliémie iatrogène).
• L'hyperkaliémie (K > 5,0 mmol/L) est une urgence thérapeutique car le pronostic vital est en jeu quel que soit le terrain. Le risque est la survenue d'un arrêt cardiaque par trouble du rythme ou de conduction.
• Une hyperkaliémie menaçante (onde T ample et pointue, élargissement du QRS, troubles de la conduction à l'ECG) impose le transfert en milieu de réanimation
• Les causes les plus fréquentes sont une diminution des pertes (insuffisance rénale) ou une augmentation des apports (causes iatrogènes).
• Le traitement de l'hyperkaliémie doit être instauré d'urgence. Il comporte l'alcalinisation, l'administration de glucose/insuline, l'utilisation de sympathomimétiques et l'épuration extrarénale. Les sels de calcium peuvent antagoniser les troubles de conduction de l'hyperkalièmie.