Item 265. Troubles de l'équilibre acido-basique et désordres hydro-électrolytiques
pH = 6.1 +Log [Base]/[Acide] → pH = 6.1 + Log [HCO3-]/[H2CO3] → pH = 6.1 + Log [HCO3- (mmol)]/[0.03 [CO2 (mmHg)] : Equation d'Henderson-Hasselbach
Afin de caractériser une anomalie de l'équilibre acido-basique, il est nécessaire de se rappeler de trois règles :
L'acidose métabolique est définie par une acidose (pH <7.38) avec une diminution des bicarbonates plasmatiques. Le pH dépend de la profondeur de l'acidose et de la compensation respiratoire (PaCO2). La compensation dépend de l'âge du patient et du terrain. Chez le sujet présentant ne présentant pas d'insuffisance respiratoire chronique, la PaCO2 est abaissée (<36 mmHg) afin de compenser l'anomalie métabolique.
L'hyperventilation nécessaire à la compensation peut entrainer un épuisement respiratoire, en particulier en cas d'insuffisance respiratoire chronique sous-jacente.
La polypnée est le seul signe clinique spécifique de l'acidose métabolique. Elle est la traduction de l'hyperventilation alvéolaire. Elle est classiquement ample, profonde, lente et ces caractéristiques définissent une dyspnée de Kussmaul. Elle survient malgré l'absence de pathologie pulmonaire associée (Dyspnée sine materia).
Si des troubles neurologiques (allant de la stupeur au coma) ou des anomalies cardio-circulatoires (collapsus, arrêt cardiaque) sont parfois décrits, ils ne surviennent en général que pour des acidoses extrêmes et sont le plus souvent liés à l'étiologie de de l'acidose métabolique.
Figure 1- Trou anionique. Le trou anionique est le reflet d'un écart entre les cations et les anions habituellement dosés.
En cas d'accumulation d'acide (Anion donneur d'ion H+), la baisse des bicarbonates, observée en conséquence de la mise en jeu du systéme tampon, est compensée par la présence de l'anion supplémentaire (acide). Le bicarbonate baisse, le chlore reste stable de même que les cations dosés, le trou anionique est donc augmenté en reflet de la concentration d'acide indosé.
En cas de baisse des bicarbonates sans accumulation d'acide indosé, la baisse des bicarbonates, entraine une baisse globale de la concentration d'anion. L'équilibre électrique est maintenu par la réabsorption de chlore. La somme chlore + bicarbonate est donc stable de même que le trou anionique.
Il s'agit des acidoses métaboliques avec accumulation d'un acide circulant qui peut-être endogène ou exogène.
Au sein des acides endogènes il faut noter :
- Les acidocétoses où l'accumulation d'acide b-hydroxy-butyrique et/ou d'acide acéto-acétique. L'étiologie principale reste le diabète de type 1.
- Les acidoses lactiques qui peuvent accompagner les états de chocs, les intoxications par les biguanides, les ischémies aiguës, et les insuffisances hépatocellulaires.
- Les insuffisances rénales sévères à terminales (clairance <30 mL/min/1.73m²) par accumulation de phosphates, de sulfates ou d'acides organiques.
Au sein des acides exogènes il faut noter :
- L'acide acétylsalicylique. L'intoxication à l'aspirine peut par ailleurs donner un trouble métabolique complexe associant acidose métabolique et alcalose ventilatoire d'origine centrale.
- Les alcools toxiques : méthanol, éthylène glycol, propylène glycol.
- Acide Nalidixique.
Il s'agit des acidoses métaboliques par perte de bicarbonates ou accumulation d'ion H+.
On distingue les causes rénales et extra-rénales.
Causes rénales : - Acidoses tubulaires : Elles sont évoquées en cas d'acidoses hyperchlorémiques avec débit de filtration glomérulaire normal ou peu altéré (> 30 mL/min/1.73m²) non expliquée par une autre cause. On distingue 3 types d'acidoses tubulaires qui sont en générales différenciées par la kaliémie, mais aussi des épreuves fonctionnelles (épreuve d'acidification ou d'alcalinisation des urines):
- Insuffisance rénales modérées par défaut d'ammoniurie (excrétion de H+ sous forme de NH4+).
Causes extra-rénales :
Il s'agit principalement de causes digestives liées à des pertes intestinales de bicarbonates : diarrhées aiguës, fistules duodénales ou fistules pancréatiques.
Trucs et astuces
- Le calcul et l'interprétation du trou anionique plasmatique sont parfois compliqués, d'autant plus que s'associent d'autres troubles hydro-électrolytiques. D'autres approches, pas plus simples au final, ont été proposées (Approche de Stewart).
- En pratique courante et surtout dans le contexte de l'urgence, le diagnostic étiologique de l'acidose métabolique est souvent facilement réalisé en évaluant simplement à partir de l'anamnèse et de la situation actuelle, la possibilité des principales étiologies, sans passer par le trou anionique :
o acido-cétose è bandelette urinaire, glycémie
o acidose lactique è dosage artériel de lactate
o insuffisance rénale aiguë è diurèse créatininémie
o perte digestive è diarrhée ? Fistule digestive ?
- Lors de la réanimation des états de choc, il est souvent constaté après remplissage massif par du soluté salé isotonique une acidose dite de dilution (liée à la dilution du bicarbonate plasmatique, absent du soluté salé ; le trou anionique est normal), souvent associée à une acidose lactique et/ou à une acidose de l'insuffisance rénale.
La prise en charge des acidoses métaboliques ne s'envisage que par le traitement étiologique lorsqu'il est possible.
En cas d'acidose métabolique, la conférence de consensus organisée par la Société de réanimation de langue française a souligné deux éléments de prise en charge :
1) Assurer la clairance du CO2. Cela implique, en cas d'insuffisance respiratoire chronique ou d'épuisement ventilatoire de recourir le cas échéant à la ventilation mécanique;
2) L'alcalinisation n'est pas indiquée en cas d'acidose métabolique aiguë, même profonde, sauf pertes excessives de bicarbonate, acidose métabolique associée à une hyperkaliémie ou au cours d'une intoxication par des produits à effet stabilisant de membrane. Le soluté le plus utilisé reste le bicarbonate de sodium isotonique (14 ‰) à une posologie initiale de 1 à 2 mmol/kg en perfusion lente. Le pH doit être contrôlé 30 minutes après l'arrêt de la perfusion. Une épuration extra-rénale peut-être indiquée dans certaines circonstances (insuffisance rénale aiguë, surcharge hydrosodée…).
Il est nécessaire de prévenir et traiter les troubles hydro-électrolytiques associés (hypokaliémies, hypophosphatémies, hypocalcémies).
Au cours des acidoses par perte de bicarbonates, l'alcalinisation par voie orale (eau de vichy, citrate, gélules de bicarbonate) peut être suffisante. Elle permet principalement d'éviter la consommation du tampon phosphate et ses conséquences osseuses (rachitisme/ostéomalacie hypophosphatémique).
L'acidose respiratoire est définie par une acidose (pH <7.38) avec une augmentation de la PaCO2. L'hypercapnie est toujours secondaire à une hypoventilation alvéolaire et l'hypoxémie est donc systématique qu'il y ait ou non une altération de la membrane alvéolo-capillaire.
Le pH dépend de l'importance de l'hypercapnie et de la compensation métabolique (élévation des bicarbonates). Cette dernière est en générale retardée de 24 à 48h ce qui permet de distinguer les hypoventilations alvéolaires aiguës (sans compensation) des acidoses chronique (avec compensation).
Les signes cliniques sont liés à l'hypercapnie (agitation, troubles de vigilance, hypertension, sueurs, érythème), à l'hypoxémie (polypnée, cyanose, détresse respiratoire), à la maladie sous-jacente (tableau d'anasarque ou d'insuffisance ventriculaire droite en cas d'insuffisance respiratoire chronique, pathologie neuromusculaire aiguë ou chronique), ou au facteur de décompensation en cas de décompensation d'une pathologie chronique.
- La sévérité est liée à l'importance de l'hypoventilation alvéolaire, à la pathologie sous-jacente et au mécanisme d'une éventuelle décompensation.
- En cas de pathologie pulmonaire chronique, une acidose avec pH <7.35 doit inciter à une prise en charge spécifique.
- En cas de pathologie neuromusculaire (myasthénie, polyradiculonévrite aiguë), toute dyspnée avec normocapnie ou toute acidose respiratoire non compensée doivent être considéré comme sévère et surveillé dans un secteur de soin intensif ou de réanimation.
- Le risque est lié à l'hypoventilation alvéolaire plus qu'a l'acidose elle-même. Une insuffisance respiratoire aiguë avec acidose respiratoire est une situation urgente où le pronostic vital est immédiatement mis en jeu.
- Il convient de distinguer les acidoses respiratoires d'origine neuromusculaire des acidoses respiratoires d'origine thoraco-pulmonaires.
Causes neuromusculaires : Elles sont liées aux affections du système nerveux central, aux atteints médullaires, périphériques, ou musculaires.
Les atteintes du système nerveux central peuvent être en cause en cas d'atteinte du tronc, qu'elle soit vasculaire, infectieuse ou traumatique. Les médicaments dépresseurs de la commande respiratoire (morphiniques ou autre hypnotiques) sont une cause classique. Enfin, il existe des causes acquise (syndrome de Pickwick) ou congénitales (syndrome d'Ondine) d'hypoventilation alvéolaire centrale.
Causes thoraco-pulmonaires : Elles sont liées aux affections aiguës ou chroniques thoraco-pulmonaires. Les causes chroniques sont, en dehors des décompensations aiguës, associées à une acidose respiratoire compensée. Les causes chroniques sont représentées par les insuffisances respiratoires chroniques qu'elles soient de mécanisme obstructif ou restrictif. L'ensemble des causes d'insuffisance respiratoire aiguë peut conduire à une acidose respiratoire. Cette dernière signe en général une atteinte sévère et un épuisement respiratoire.
La prise en charge est celle de l'hypoventilation alvéolaire (voir chapitre correspondant).
Une prise en charge étiologique est le plus souvent nécessaire. Une assistance ventilatoire invasive ou non-invasive doit être discutée. La ventilation non-invasive est le traitement de choix des décompensations d'insuffisance respiratoire chronique ou des œdèmes aigus du poumon d'origine cardiogénique avec hypoventilation alvéolaire. Au cours des pathologies neuromusculaire et des pathologies pulmonaires aiguës, la ventilation conventionnelle est le traitement de premier choix.
L'alcalose métabolique est définie par une alcalose (pH>7.42) liée à une augmentation des bicarbonates plasmatiques. Elle est en général associée à une hypoventilation alvéolaire compensatrice.
Ce trouble métabolique est fréquemment associé à une déshydratation extracellulaire du fait des mécanismes impliqués. Cette déshydratation est responsable d'une activation du système rénine-angiotensine-aldostérone qui majore l'alcalose ou l'entretien. De plus, l'hypokaliémie et l'alcalose métaboliques sont souvent associées et tendent à se majorer l'un l'autre. L'alcalose métabolique favorise un transfert intracellulaire de potassium majorant l'hypokaliémie. L'hypokaliémie, quand à elle, va favoriser une alcalose en entrainant une acidification des urines et en favorisant un transfert d'ion H+ du secteur extra- au secteur intracellulaire.
Les signes cliniques liés à l'alcalose sont rares mais peuvent associer trois types d'atteintes :
Atteinte neurologique avec troubles de la vigilance qui sont d'intensité variable et sont la conséquence d'une baisse du débit sanguin cérébral en réponse à l'alcalose. Par ailleurs, la baisse du calcium ionisé en réponse à l'alcalose peut entrainer une faiblesse musculaire, une tétanie ou des myoclonies.
Une atteinte cardiovasculaire avec un syndrome coronarien aigu qui peut résulter d'une diminution du débit sanguin coronaire en réponse à l'alcalose. Par ailleurs, les complications spécifiques de l'hypokaliémie de transfert qui accompagne l'alcalose (troubles du rythme auriculaire ou ventriculaire) peuvent-être au premier plan.
Enfin, la réponse ventilatoire à l'alcalose métabolique (hypoventilation alvéolaire) peut s'accompagner d'une hypoxémie qui, en l'absence d'atteinte de la barrière alvéolo-capillaire est proportionnelle à l'élévation de la PaCO2.
La sévérité est liée à l'importance de l'alcalose, aux conséquences vasculaires qui en découlent, aux troubles métaboliques associés (hypokaliémie notamment), ainsi qu'au mécanisme de l'alcalose ou son mécanisme d'entretien.
- Il convient de distinguer les alcaloses métaboliques selon leur mécanisme :
Excès d'apport en bicarbonates :
Il s'agit d'une alcalose liée à l'apport de bicarbonates par voie intraveineuse ou orale (« syndrome du lait et des alcalins » : antiacides, soda, lait). Rare, elle survient préférentiellement chez les patients insuffisants rénaux chez qui la capacité d'excrétion des bicarbonates est diminuée. Elle est en générale réversible à l'arrêt de l'apport.
Pertes d'ions H+ :
Cette perte peut-être digestive ou rénale.
Enfin, la déshydratation extracellulaire en elle-même favorise une alcalose de contraction.
Ces causes d'alcaloses sont très souvent intriquées et il est nécessaire de traiter l'ensemble des facteurs d'entretien de l'alcalose lors de la prise en charge de cette dernière.
La prise en charge est celle de l'étiologie et la correction des anomalies hydro-électrolytiques associées : correction de la déshydratation extracellulaire, d'une hypokaliémie, d'une hypercalcémie.
En cas d'apport de bicarbonates, de diurétiques de l'anse ou d'acide glycyrrhizique, l'arrêt de ces derniers est nécessaire.
Les alcaloses métaboliques sévères (pH>7.60), avec signes neurologiques ou cardiovasculaire, ou associées à une hypokaliémie sévère, une hypercalcémie symptomatique ou une déshydratation extracellulaire importante doivent être hospitalisées en secteur de soin intensif.
L'alcalose respiratoire est définie par une alcalose (pH>7.42) liée à une hyperventilation alvéolaire. La compensation métabolique est en général retardée. .
Les signes cliniques liés à l'alcalose et aux conséquences circulatoires de cette dernière, à l'hyperventilation et à la baisse du calcium ionisé. On note ainsi, tout comme pour l'alcalose métabolique :
Des atteintes neurologiques avec troubles de la vigilance qui sont d'intensité variable et sont la conséquence d'une baisse du débit sanguin cérébral en réponse à l'alcalose. Elle peut aggraver une ischémie cérébrale ou une agression cérébrale préexistante. Par ailleurs, la baisse du calcium ionisé en réponse à l'alcalose peut entrainer une faiblesse musculaire, une tétanie ou des myoclonies.
Une atteinte cardiovasculaire avec un syndrome coronarien aigu qui peut résulter d'une diminution du débit sanguin coronaire en réponse à l'alcalose et les complications spécifiques de l'hypokaliémie de transfert qui accompagne l'alcalose (troubles du rythme auriculaire ou ventriculaire).
La sévérité est liée à l'importance de l'alcalose et aux conséquences vasculaires qui en découlent, aux troubles métaboliques associés. Enfin au cours des alcaloses respiratoires avec pathologies pulmonaires, la sévérité de cette dernière est en général au premier plan.
- Il convient de distinguer les alcaloses respiratoires avec pathologie pulmonaire et les alcaloses métaboliques liées à une pathologie centrale.
Insuffisance respiratoire aiguë :
L'ensemble des pathologies pulmonaires (pneumopathies bactériennes, OAP, SDRA, pneumopathies infiltratives diffuses) ou vasculaires (embolie pulmonaire). L'hypoxémie est en général le principal mécanisme de l'hyperventilation.
Pathologies centrales :
Il s'agit en général des atteintes centrales, le plus souvent avec atteinte du tronc cérébral (encéphalites infectieuses ou méningo-encéphalites, tumeurs, traumatismes), des encéphalopathies hépatiques, des intoxications aux salicylés ou des hyperventilations psychogènes (anxiété, douleur).
Au cours des atteintes respiratoires aiguës, la correction de l'hypoxémie suffit le plus souvent à corriger l'alcalose.
En cas d'atteinte central et menaçante, en particulier en cas d'atteinte organique, il peut-être nécessaire de recourir à la ventilation mécanique afin de limiter l'hypoperfusion cérébrale ou myocardique.
Points clés
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